Lee Van Cleef dans un film d'une étonnante simplicité, mais qui reste profondément complexe, sensible et puissant.
Décrié à sa sortie, considéré aujourd’hui comme une œuvre majeure dans l’histoire du cinéma et de la culture américaine du XXe siècle, L’homme qui tua Liberty Valance est un film qu'on ne se lasse jamais de regarder pour tout ce qu’il raconte.
IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST
Même s'il s’est illustré avec des films d'autres genres, de la comédie dramatique au film d'aventure, John Ford restera toujours associé au western, auquel il a donné une grande partie de ses lettres de noblesse au cours de son immense carrière avec plusieurs grands classiques comme La Prisonnière du Désert.
Seulement, au début des années 60, le fondateur du mythe de l'Ouest américain approche des 70 ans et sa santé est déjà bien entamée par son cancer des poumons, qu'il traite à l'alcool et au tabac. Les temps ont changé, le cinéma aussi, et le western, comme les autres genres, a vieilli en même temps que lui.
Une photo qui sent bon la poudre, le whisky et les déserts d'Arizona
Après avoir signé Les Deux cavaliers en 1961, bien conscient que l’âge d'or du western touche à sa fin, John Ford se lance alors dans son prochain projet, dont il perçoit déjà la considérable ambition. Raconter, comme il l’a déjà fait, l'histoire de cette Amérique sauvage qui se retrouve confrontée au progrès.
Inspiré d'une nouvelle de Vers sa destinée : la naissance de la démocratie américaine, la condition humaine et la notion de justice.
"L'éducation est la base de la loi et de l'ordre"
DUEL AU CLAIR DE LUNE
Alors que le Technicolor est devenu une règle plus ou moins tacite à Hollywood, Ford retrouve le noir et blanc de ses débuts avec le chef opérateur William H. Clothier. Comme dans le film, plusieurs versions de l'histoire existent concernant ce choix assez surprenant : certains prétendent que la Paramount aurait imposé le noir et blanc pour éviter des coûts trop importants ; d’autres que le procédé aurait permis de camoufler le fait que John Wayne et James Stewart étaient bien plus vieux que les personnages qu'ils incarnaient ; mais selon la légende, ce serait Ford qui aurait insisté pour tourner en noir et blanc, sachant que les scènes nocturnes seraient emplies de cette ambiance unique, proche du film noir. Ne pouvant rien faire face à l'entêtement du cinéaste, les producteurs de la Paramount auraient alors fini par céder et renoncé à la couleur.
Règlements de compte à Shinbone
Pour ce western intimiste, qui pourrait être vu comme la synthèse ou le point culminant de tous les précédents, Ford réalise en studio, avec un décor limité à une rue et des scènes qui se déroulent majoritairement de nuit. Au lieu de parcourir les immenses paysages de Monument Valley, les personnages sont enfermés derrière les fenêtres des commerces ou les encadrements d'une cuisine trop étroite. La conquête a laissé place à la désillusion, la fresque épique n'est plus qu'un souvenir douloureux, alors il adopte une mise en scène sobre, presque minimaliste, mais d'une précision et d’une efficacité sans faille.
Les ruines de l'Ouest américain
LE BON, LA BRUTE ET LE TRUAND
Avec L’Homme qui tua Liberty Valance, John Ford déconstruit lentement ce mythe du western qu’il a façonné pendant tant d’années. Ransom Stoddard (James Stewart) retourne avec sa femme Hallie (Vera Miles) dans la petite ville de Shinbone pour assister à l’enterrement d’un vieil ami, Tom Doniphon (John Wayne). La presse s’interrogeant sur la présence d’un homme politique aussi éminent aux funérailles d’un tel inconnu, il leur raconte alors son histoire, qui révélera finalement l’identité de celui qui tua le célèbre bandit appelé Liberty Valance (Lee Marvin).
Le récit s'articule autour d'un triangle symbolisant à la fois la chute de l'Ouest américain et les fondements des États-Unis d'Amérique : Ransom Stoddard est cet avocat qui amène l'ordre et l’éducation dans un monde où ne régnait que la loi du plus fort ; Liberty Valance représente l’immuable figure du hors-la-loi, essayant d'empêcher le monde d'évoluer en amenant une nouvelle forme de violence, sadique et gratuite ; enfin, Tom Doniphon est la personnification du cow-boy héroïque, fier, intrépide, qui défend les opprimés et règle ses problèmes en dégainant son Colt.
Une scène magistrale, posant tous les enjeux du film en un plan
Liberty Valance est présenté comme l’antagoniste du film, Ransom et Tom portent tous les deux les mêmes valeurs et veulent l’arrêter, mais la méthode qu’ils veulent employer les dresse inévitablement l’un contre l’autre. La Paramount aurait imposé John Wayne à John Ford pour le rôle de Tom Doniphon (ce que le réalisateur a apparemment fait payer à l’acteur pendant le tournage), mais ce n’est pas un hasard s’il a choisi James Stewart pour tenir le rôle de Ransom Stoddard. Les deux acteurs sont deux opposés d’un certain idéal.
Wayne, devenu une incarnation patriotique et une légende du western, face à Stewart, qui s’est aussi imposé comme un grand nom du genre, mais représente surtout cette croyance naïve en la démocratie et la justice par ses rôles dans les films de Monsieur Smith au Sénat. Le déhanché désuet et le revolver contre le freluquet et ses livres de droit. Une confrontation au sommet, qui appuie encore un peu plus le propos du film.
Leçon de tir pendant une leçon de cinéma
NAISSANCE D’UNE NATION
Au milieu de cet affrontement idéologique, un autre triangle se forme, autour de Ransom Stoddard, Tom Doniphon et Hallie. Cette dernière pourrait presque être vue comme une représentation des États-Unis, embrassant le progrès en choisissant d’apprendre à lire et à écrire grâce à l’avocat, qu’elle époa, plutôt que de rester aux côtés de Tom. En tuant Liberty Valance dans la pénombre, Tom Doniphon accorde à Ransom Stoddard son statut de héros, ce qui lui permettra de se faire élire et d’installer la modernité à Shinbone en rejoignant les États de l’Union, mais il sacrifie aussi son amour pour Hallie et son avenir.
Autour d’eux, toute une galerie de personnages comme Pompey (interprété par le légendaire Woody Strode), le shérif Link Appleyard (Edmond O'Brien) ou le couple de restaurateurs suédois, permet aussi d’évoquer le racisme, la naturalisation ou la liberté de la presse dans une communauté en pleine mutation.
Néanmoins, Ford montre aussi que ce progrès s’accompagne de changements qui ne sont pas forcément bénéfiques pour tous. La population cosmopolite de Shinbone vue dans la salle de classe a été remplacée par des blancs ; le journalisme, érigé en contre-pouvoir par Peabody, devient presque un outil de propagande au nom des intérêts politiques ; ceux comme Pompey semblent avoir été abandonnés et ne jouissent pas de l’égalité promise.
L’homme qui tua Liberty Valance sonne la mort du western, mais aussi de la vision idéaliste de la démocratie américaine. Cette société évoluée, basée sur la loi, l’ordre et la justice s’est fondée sur un meurtre de sang-froid et un mensonge. L’Histoire a été bâtie sur des légendes et des secrets profondément enfouis six pieds sous terre et le réalisateur questionne justement le spectateur sur ce rapport à la réalité, ce qu’il considère comme la vérité dans une histoire subjective, puisque rapportée par Ransom Stoddard.
Que le western classique repose en paix
Chose rare dans l’œuvre de Ford, qui pose un regard triste et lucide sur sa carrière et ce fantasme du Far West dans cette oeuvre testamentaire, le récit est conçu comme un immense flash-back et révèle d’emblée le sort qui attend les différents personnages. Une fois que l’urbanisation et l’industrialisation ont englouti Shinbone, Ransom a été élu sénateur et Liberty Valance est resté une légende par ses crimes, tandis que Tom est tombé dans l’oubli.
Pas assez cruel pour son époque, trop violent pour celle qui approche, il était condamné à disparaître, en même temps que tout ce qu’il représentait. Avant même d’être mis entre quatre planches, il est déjà devenu un cliché dont on se moque sur scène dans une démocratie déjà mise à mal par le capitalisme et la corruption.
Une certaine vision du progrès
L’Homme qui tua Liberty Valance nous ramène à cette époque où l’implacable marche du progrès balayait l’Ouest américain, quand la modernité et la civilisation se sont confrontées aux étendues sauvages et à la violence des armes. Un train arrive, un autre repart, avec deux trajectoires formant une parenthèse désenchantée dans ce monde situé entre légende et vérité.
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Très déçue par ce film !! A la limite de l’ennui !!
C’est un bon film mais qui ne m’a pas marqué tant que cela, de John Ford j’ai trouvé plus magnifique La Prisonnière du désert et je prends pus de plaisir à regarder Les Cavaliers.
John Ford est un grand réalisateur. Mais dans le genre western, j’ai un petit faible pour « Giù la testa » de Sergio Leone et « La horde sauvage » [Director’s cut] de Sam Peckinpah.
Buona serata a tutti !
L’Homme qui tua Liberty Valance est un très grand film, vraiment ionnant, probablement le dernier chef d’œuvre de John Ford.
Un film très fin qui en dit long sur la civilisation et la mentalité américaines.
Un film que j’ai pu voir à plusieurs reprises sur grand écran à Paris, dans les cinémas du Quartier Latin. Les acteurs sont tous magnifiques, l’histoire, l’ambiance, la photographie en noir et blanc, la fameuse opposition entre la vérité et la légende de l’Ouest également. Sans oublier cette mémorable scène du steak !
Un des meilleurs rôles de John Wayne, qui démontrait toute l’étendue de son talent, malgré le fait qu’il était catalogué comme un acteur limité. James Stewart et Lee Marvin étaient bons aussi.
On peut également remarquer Lee Van Cleef et Woody Strode, qui n’avaient pas encore croisé la route de Sergio Leone.
Ce film, qui a aussi un côté crépusculaire et mélancolique, annonce la fin proche d’une des plus prestigieuses carrières du cinéma américain: celle de John Ford, qui filmait comme personne.
Assurément, L’Homme qui tua Liberty Valance est un des meilleurs westerns de John Ford.
C’est un immense plaisir lorsque Ecran Large évoque des films oubliés ou presque. Merci.
L ouest et sa violence, en travers de sa route un homme representant la loi, la civilisation….eternel scénario toujours d actualité.
Il est amusant de voir dans ce film voir John Stewart tenir des propos antiracistes alors que 10 ans plus tard, il faisait virer Hal Williams en raison de sa couleur de peau. Comme quoi, son rôle était un rôle de composition.
Très bon western. Revu récemment avec aussi le vent de la plaine et surtout El perdido de Robert Aldrich qui est un très grand film à mes yeux.
Les seuls souvenirs que j’ai de ce flim, c’est un James Stewart très ouvert sexuellement qui cherche une bonne auberge et un John Wayne… disons…bah j’ai connu un mec de droite une fois, il avait dix fois plus de classe.
Je l’ai revu récemment, un film.qui a très bien vieilli et qui m’a confirmé son statut de chef d’oeuvre.
Et quel casting.
Un classique et une énorme lacune pour moi. Je crois ne l’avoir jamais vu u alors j’étais trop jeune, mais le rappel du casting de folie me donne envie de le découvrir enfin.