Films

The Descent : la recette de la terreur par Neil Marshall

Par Mathieu Jaborska
9 décembre 2020
MAJ : 21 mai 2024

Après Dog Soldiers et avant Doomsday et Hellboy, Neil Marshall signait son chef-d’œuvre : The Descent.

The Descent : photo, Shauna Macdonald

Nous avions consacréThe Descent, qui a fait de son auteur une star du genre avant de rester comme son meilleur essai.

Et si la deuxième partie de carrière du cinéaste est à réévaluer (retrouvez notre défense de Doomsday ici), il va sans dire que cette descente aux enfers est d'une puissance qu'on le voit mal atteindre à nouveau. Pourquoi ? Parce qu'elle dispose d'ingrédients de choix. Comment ? On vous livre la recette, juste ici, en trois étapes.

 

Natalie Mendoza, increvable

 

Faire preuve d’humilité

Dog Soldiers était bien complètement fauché, et The Descent n’est pas beaucoup plus friqué, contrairement aux idées reçues et à l’impression qu’il renvoie. Avec 3,5 millions de livres de budget (contre 2,3 millions pour Dog Soldiers), impossible d’invoquer les sept portes de l’enfer, et c’est donc sous la contrainte que la petite production fut façonnée.

Mais n’est-ce pas la marque des grands films d’horreur, la particularité du genre, de savoir s’accommoder de rien et transcender ses maigres deniers ? De Saw, ils sont nombreux à ne pas avoir juste pallié leur manque de moyens par une inventivité sans faille, mais carrément à avoir tiré leur génie de leur pauvreté. En clair, les meilleurs films d’épouvante ne se font souvent pas malgré la disette économique, mais grâce à la disette économique.

La capacité d’adaptation exigée par un budget serré (aux abonnés absents dans Hellboy, par exemple) pousse à la réussite, tel Baudelaire s’imposant une forme fixe. Et même si Marshall n’est clairement pas le Baudelaire du cinéma d’horreur, il a très bien compris ce principe. Dog Soldiers profitait de son humilité pour rendre hommage à tout un pan de la série B américaine. Plus réfléchi encore, The Descent met sa modestie au service de son concept, de ses effets spéciaux, de sa narration et surtout de son rythme, une des grandes spécialités du metteur en scène.

 

Shauna Macdonald, persévérante

 

Le film a tout du « high concept », un terme popularisé par Blumhouse, petits malins ayant institutionnalisé et industrialisé cette idée, souvent avec moins de talent. Mais il n’a pas fallu attendre la terrible machine marketing Paranormal Activity pour voir des productions qui misent tout sur un concept. C’est ainsi que sont nés bien des sous-genres, et c’est ainsi que Marshall a conçu son opus magna : curieusement peu exploitée au cinéma d’horreur (comme les abysses), mais pourtant terrifiante en puissance, car reposant sur les deux angoisses principales de l’Homme – l’inconnu et l’enfermement – (comme les abysses), la spéléologie est un terrain de jeu parfait pour artiste malin et particulièrement sadique.

Les décors de grottes sont logiquement 100 % synthétiques, reconstitués en studio à Pinewood, et la façon dont ils sont mis en scène vise l'économie.  Des morceaux de rochers sont réutilisés sous différents angles, technique que ne reniaient pas Mario Bava et d’autres artisans de la débrouille cinématographique. Ou, pour reprendre le changement de paradigme, la simplicité de ces cavernes artificielles a permis au style du film, inimitable, de se développer.

 

photo, Natalie MendozaIl suffisait de taper dans le polystyrène

 

Rien n’est vrai dans The Descent, et paradoxalement, tout l’est, des effets gores, déjà bien caoutchouteux dans Dog Soldiers, mais ici carrément géniaux, aux designs des créatures, clairement pensés pour donner de la latitude aux comédiens, qui portent les lourds costumes. Mieux encore, le scénariste opte pour une approche très « slow burner », autre anglicisme apparu dans les années 2000 servant à qualifier une montée en tension longue, bon marché et éprouvante. En d’autres termes, les créatures n’apparaissent pas avant la moitié du film et n’attaquent que dans le dernier tiers.

Avant ça, le film est un survival impitoyable, extrêmement maîtrisé et un préambule infernal au climax, le fond du trou, coup de poignard ultime d’autant plus éprouvant qu’il arrive comme une cerise gore sur le gâteau tendu. Bien conscient des qualités et des faiblesses de son concept, Marshall sait le ménager, le faire briller d’une lueur noire plutôt que sombrer trop vite dans l’outrance et décélérer en route. Ses alliés sont aussi ses armes : le rythme, en crescendo cauchemardesque, et la mise en scène, qui a séduit la critique et a fait er le long-métrage de bonne série B à monument de trouille.

 

photo, Natalie MendozaNous, on préfère s'peler au logis

 

Faire du cinéma

Car tous les classiques fauchés du genre ont accolé une dimension expérimentale à leur réalisation, et The Descent ne fait pas exception. Dog Soldiers faisait déjà état d’un style très agité, son successeur ajoute à ça un sens aigu du sur-cadrage, particulièrement pertinent pour éprouver la peur des personnages dans une caverne.

Soit coincée avec les protagonistes, soit assez éloignée pour les isoler dans des abîmes grandissants, la caméra redéfinit en permanence l’espace de l’action. Écrasant littéralement ses héroïnes sous le poids d’un cadre toujours plus étroit, la mise en scène donnerait presque une impression de 2D si Marshall n’y adjoignait pas une science du mouvement vicieuse, resserrant le joug en précipitant les murs et plafonds de cet environnement hostile sur les jeunes femmes, progressivement.

Une sacrée performance, qui va jusqu’à utiliser la traditionnelle amorce de l’épaule des personnages lors d’un dialogue pour isoler encore plus chacun d’entre eux dans des cellules étouffantes. Depuis, beaucoup ont tenté de reproduire l’expérience, comme l’excellent Exit récemment, mais peu ont su s’avérer aussi jusqu’au-boutistes que le métrage anglais, qui construit, grâce à son style, la prison anxiogène ultime, le véritable antagoniste du film.

 

photoEnsemble comme un rock

 

Les sur-cadrages les plus exigus se succèdent grâce à un système de cache où ce sont les décors qui occultent l'image. Ainsi, le choix du cinémascope comme format initial ressemble autant à un ultime pied de nez sadique (la largeur du champ n’est occupée que par du noir) qu’à une façon de se laisser de la marge, littéralement.

Rien de prétentieux là-dedans : parfois radical dans son approche, Marshall ne fait toutefois pas de son oeuvre un exercice de style vain. Chaque parti pris sert la narration et surtout l’ambiance, si bien que l’ouverture et la conclusion, aussi morbides l’une que l’autre, ne font que répondre au cœur noir du film, comme si l’oppression physique des cavernes n’était qu’une matérialisation très concrète d’une vie presque plus cauchemardesque.

Hors de la grotte, les encadrements menaçants sont avant tout narratifs, mais ça n’empêche pas le metteur en scène de préfigurer l’horreur à venir dans le plan qui précède le titre, dans lequel l’héroïne se fait poursuivre par la réduction progressive de l'éclairage. Être prisonnier de l’ombre ou des murs d’une tombe géante, deux idées pas si éloignées au cinéma, où l’on ne vit que dans la lumière.

 

photo"Ah, qu'est-ce qu'on est serrés, au fond de cette grotte"

 

Car si on a souvent loué le sens du cadrage ayant fait de The Descent un chef-d’œuvre, on évoque moins l’éclairage de Sam McCurdy, qui prend un peu le relai dans un climax moins généreux en sur-cadrages déments. On voit dans les dernières minutes les limites d’un tournage en studio, et les conduits tortueux s'y muent peu à peu en couloirs. Heureusement, la violence visuelle subie par le groupe d'exploratrices se manifeste toujours de la même façon, grâce à un jeu de lumière qui s'appuie sur une autre particularité de la spéléologie, énoncée telle quelle au début du film : sous terre, le seul éclairage est celui qu’on apporte avec nous.

Grâce à l’implémentation de sources lumineuses intradiégétiques (les lampes diverses), de toutes formes et couleurs, Marshall et son directeur de la photographie font de la lumière la condition de la survie, comme le souligne le sublime plan où la final girl remonte en direction d'une lueur faussement salvatrice. Plus qu’un cache-cache rocailleux, c’est donc surtout un jeu de lumière qui caractérise The Descent, et va jusqu’à inf sa narration : Sarah lutte pour ne pas succomber aux ténèbres de la dépression et de la culpabilité, combat représenté par un souffle de bougie, le fil rouge psychologique du film.

Les deux fins, toutes deux symboliques puisqu’il ne reste que ça, se répondent donc parfaitement. Au fond du trou, personne ne vous entendra-verra chercher la lumière du jour.

 

photoLe bout du tunnel... ou presque

 

Créer sa propre mythologie

The Descent est donc loin de se cantonner à son formalisme impressionnant. C’est avant tout un objet purement cinématographique, une machine visuelle, sonore, sensorielle et émotionnelle, dont l’identité tient à la cohérence d’une esthétique générale, et par conséquent, d’une mythologie particulière.

Alors que beaucoup de films d’horreur des années 2000 cherchent la réappropriation, le renouvellement de figures éculées (tout y e, du vampire au zombie), Marshall fait le pari d’accompagner la singularité de son concept d’une singularité horrifique. Les crawlers, comme on les appelle, sont des modèles monstrueux, autant dans leur design et leur comportement (non révélés aux actrices avant leur première rencontre) que dans leur histoire.

 

photoAprès deux mois de confinement

 

Le long-métrage, qui avoue transgresser sciemment les codes du cinéma d’aventure au détour d’un dialogue (« Je ne suis pas Tomb Raider »), se doit bien de teinter de mystère leur genèse. Rompu à l’exercice du fantastique vicieux, le cinéaste et auteur distille des indices toujours visuels, à l’instar de l’instant de contemplation des peintures rupestres, mais se garde bien d’entacher son survival tout de gore, de sauvagerie et de cris d’une explication barbante et démystifiante. Les rejetons aveugles de Gollum et Azog seraient donc probablement des hommes des cavernes dont l’évolution aurait pris un tournant bien sombre. Quant au destin funeste des premiers mineurs descendus… il vaut mieux l’imaginer.

Un véritable vent de fraîcheur dans le genre, donc, qui a indéniablement contribué à son énorme succès. Grâce à leur nature même – des cerbères humanoïdes -, les crawlers renvoient à la noirceur psychologique de l’ensemble. Ils sont les symboles de la radicalité narrative du long-métrage : son climax, contrairement à ceux des films d’épouvante mainstream classiques, n’est pas l’ultime épreuve avant la tranquillité, un age vers la réjouissante situation finale.

 

photo, Shauna MacdonaldLes racines du mal

 

C’est le dernier arrêt de l’ascenseur pour le purgatoire, un sous-sol où même l’humanité n’existe plus, réduite à la sauvagerie la plus directe. Car la structure de The Descent n’est pas horizontale, mais verticale, et elle plonge en angle droit vers le bas, jusqu’à un dernier plan qui résume tranquillement tout ce que propose le film. Rarement l’expression « descente aux enfers » aura été aussi appropriée.

D’où l’absurdité du montage américain, autorisant la survie du personnage principal et se garantissant une suite efficace, mais forcément moins cohérente thématiquement. Il fallait donc être européen pour savourer The Descent dans toute sa noirceur et sa profondeur. Presque un hommage involontaire aux racines du cinéaste et de son public.

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Ozymandias
Ozymandias
il y a 4 années

J’avais adoré, faudrait que je le remate un jour !

Flash
Flash
il y a 4 années

Kyle @的时候水电费水电费水电费水电费是的 visionne Dog soldier et Doomsday, c »est de la bonne série B

Un idiot ant par là
Un idiot ant par là
il y a 4 années

un commentaire désuet

Tuk
Tuk
il y a 4 années

Magnifique survival fantastique…. Un must !

Kyle Reese
Kyle Reese
il y a 4 années

Chef-d’œuvre du survival horrifique.
Excellente analyse du film. La claustrophobie ressenti pendant le film en salle était terrible pour ma part. Et pourtant je ne suis pas sujet à ça normalement. (le dernier en date à m’avoir fait un effet proche fut le récent superbe CutterHead)
Tout semblait si vrai dans The Descent que je ne m’étais même pas posé la question d’un éventuel décor artificiel. Les créatures sont bien faites et réellement effrayante.
Immersion totale du début à la fin, et quelle fin bordel, quelle fin. Un incroyable cauchemar.
Pas vu les autres films du réal, je reste sur cette pépite que je n’ai d’ailleurs pas revue depuis.

Flash
Flash
il y a 4 années

Voilà exactement ce q’un film d’horreur doit être : sombre, violent, désespéré.
Pas ce genre de film ou les effets de surprises sont grotesques entre deux blaguouses, ici on tremble pour les protagonistes et on devine que ça va très mal se er.

Mx
Mx
il y a 4 années

Non, c’est juste qu’il est en dessous du premier, c’est tout.

Raptor
Raptor
il y a 4 années

Un classique instantané. Revu il y a une semaine, il vieillit très bien. Le 2 est bien naze en revanche…

Hawaii
Hawaii
il y a 4 années

Un chef d oeuvre de l horreur ce film. J’avais pas ressenti ça devant un film d horreur depuis longtemps a l époque