Les dessins animés ayant marqué leurs jeunes spectateurs sont nombreux et se renouvèlent à chaque génération. Mais rares sont ceux à avoir appréhendé leur époque et senti celle qui s’annonçait avec autant de finesse que Denver, le Dernier Dinosaure.
Sur le papier, peu de choses distinguent cette production de la pléthore de programmes destinés aux plus jeunes à la fin des années 80. Mais entre flair indiscutable, soin technique et conscience des enjeux de son époque, la série va devenir un objet culte, que même son récent remake n’est pas parvenu à effacer.
SOUVENIR PRÉHISTORIQUE...
Les deux dernières décennies du XXe siècle resteront probablement comme l’âge d’or fictionnel des dinosaures. Les gigantesques créatures n’ont plus foulé le sol de la planète Terre depuis 65 millions d’années, mais elles peuplent les rêves de l’humanité, et en particulier de ses enfants. Des jouets, en ant aux magazines de vulgarisations, sans oublier d’innombrables produits dérivés portant haut leurs écailles, on ne compte plus les items qui permettent à nos chères têtes blondes de se comparer le saurien dans la cour de récré.
L’imagerie préhistorique est décuplée par des œuvres grand public qui consacrent les dinos comme les totems d’une culture populaire transnationale, un merveilleux pour l’imaginaire de millions d’enfants. Et comme souvent en ce domaine concernant cette période, on en doit au moins deux à Jurassic Park, respectivement sortis en 1988 et 1993.
Le premier est également à mettre au crédit du génial animateur et réalisateur Don Bluth, qui va cristalliser pour de nombreuses années les possibilités offertes à l’animation en matière de représentation de bébêtes préhistoriques. Après le succès international du film, les clones plus ou moins inspirés vont se multiplier, mais l’un d’entre eux va marquer le médium télévisuel, en opérant un subtil décalage avec l’exploration de La Vallée des Merveilles.
Diffusé pour la première fois sous nos latitudes en 1989, Denver opère la rencontre entre un saurien inventé de toutes pièces et une troupe de jeunes californiens, bientôt unis par une indéfectible amitié. Si à la faveur d’un gadget en forme de coquille d’oeuf préhistorique, nos amis peuvent voyager dans le temps jusqu’au crétacé, l’essentiel de leurs aventures se déroule dans la Californie de la fin du XXe siècle. Et quel fantasme pourrait être plus fort que celui de pouvoir, plusieurs années avant Jurassic Park et sans le risque de se faire broyer par les mâchoires d’un T-Rex, devenir le meilleur ami d’un dinosaure ? Et ce concept, immédiatement séduisant pour tout marmot qui se respecte, va autoriser le cartoon à développer un discours et une esthétique plutôt inattendus au regard des tendances de son temps.
OU HALLUCINATION VISIONNAIRE ?
Si la production animée de la fin du XXe siècle ne fut pas une mine de propagande pour le libéralisme qui prenait alors son envol en Occident, certains de ses emblèmes étaient néanmoins très visibles dans les programmes jeunesse. Mise en avant de la réussite individuelle, épopée régulièrement centrée sur un individu central amené à se déer, l’héroïne ou le héros est souvent au cœur de la narration. Et quand ces derniers évoluent en groupe, la quête de reconnaissance, une forme de succès ou d’enrichissement personnel est souvent de première importance.
Rien de tout cela dans Denver. Immédiatement intégré à une troupe de copains, le dino n’a rien d’un super-héros qui entraînerait dans son sillage ses acolytes, en cela qu’il est clairement établi que tous bénéficient de leurs talents mutuels. Denver ne pourrait exister et se démener dans notre monde sans la protection de ses copains, lesquels ne vivraient pas d’incroyables aventures sans lui. Et chacun jouit de la dynamique du groupe.
De même, il est notable que les deux principaux méchants qu’accueille le récit, Morton Fizzback et le Professeur Funt, arborent des motivations un peu inhabituelles au sein de la production d’alors. Sans surprise, ils souhaitent s’emparer du meilleur ami de nos héros, mais pas tant pour leur faire du mal qu’accumuler grâce à lui de précieux dollars. Là où d’habitude un groupe de protagonistes choisit d’arrêter un adversaire représentant le Mal, ou doit répondre à ses assauts, les antagonistes ici se soucient finalement peu de l’existence des personnages principaux et ne veulent pas tant leur faire du mal que se satisfaire.
Se satisfaire en accumulant de la richesse, mais aussi... en devenant célèbre. Une motivation plutôt rare pour des méchants, qui pourrait sembler anodine si elle n’était pas tant à rebours avec la logique parfois clinquante des eighties triomphantes, qui ne fit jamais de la réussite une source de suspicion. Par conséquent, le versant écologique (qui prenait alors en ampleur et en popularité) de la série n’en semble que plus visionnaire et en avance sur ce qui deviendra une des grandes ions du début du XXIe siècle.
Petit traité de collapsologie ?
JOYAU FRANÇAIS ?
Avec ses héros californiens, adeptes du skate et rock’n roll, leurs chemises bariolées et quantité d’accessoires clairement identifiés (ah les lunettes de soleil de Morton), l’identité américaine de Denver ne fait aucun doute. Pourtant, on doit en partie la série à un des grands artisans de l’animation française, qui occupa l’imagination d’innombrables enfants et ados.
Bruno-René Huchez s’est forgé dans sa jeunesse une solide culture. Condamné à rester alité, il dévore tout ce qui e à sa portée, contes, mythes, romans, bandes-dessinées, pour peu que l’aventure y soit présente. Ces récits du monde entier vont aiguiser sa curiosité et son appétit de découverte. Lorsqu’il intègre la société Marubeni, spécialisée dans l’import-export japonais, il va trouver l’opportunité de nourrir ce désir d’échange, jusqu’à découvrir une œuvre qui provoquera une véritable bascule professionnelle.
Quand il visionne UFO Robot Grendizer, il ne fait pour lui aucun doute que l’anime a un potentiel énorme si quelqu’un l’amène sur les écrans européens. Grâce à Jacques Canestrier, pionnier de la vidéo dans l’Hexagone et lui aussi intéressé par les créations japonaises, il va en acquérir les droits pour la distribuer dans plusieurs pays d’Europe, dont la . Rebaptisée Goldorak, la série devient dès 1978 un phénomène, qui engendra à sa suite un formidable appel d’air, et un phénomène culturel toujours vivace aujourd’hui.
Après avoir monté sa propre structure de distribution, Huchez, surnommé BHR, s’attaquera à la production. On lui doit notamment des succès comme Draculito, mon saigneur, La Légende de Prince Vaillant ou encore Michel Strogoff. Mais son plus éclatant succès demeure Denver. Issu de l’ambition de la société World Event Productions de surfer sur le succès du Petit Dinosaure, le projet, via son producteur Ted Koplar, lorgne sur les artistes français, dont la réputation croît alors rapidement, et la possibilité d’obtenir des subventions du CNC.
Ces dernières étant conditionnées aux investissements du projet dans l’Hexagone, Huchez sécurisera une forte influence française, notamment sur la mise en scène, permettant aux artistes locaux d’assurer l’intégralité des story-boards et des layouts, étape décisive dans la mise en place de la tonalité d’un dessin animé.
Ce mélange d’influences et de techniques rencontrera un succès planétaire au cours de 52 épisodes répartis sur deux saisons, aux innombrables rediffusions. Et si le remake de 2018 diffusé sur M6 n’est pas parvenu à s’imposer, c’est sans doute qu’entre fascination pour les dinosaures, imagination débordante, idées un peu en avance de leur temps et french touch avant l’heure, Denver, le dernier dinosaure est resté plus que vif dans les mémoires.
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Ahaha, qui n’est pas tombé par hasard sur un épisode de cette série ?
La nostalgie parle mais ça reste quand même le niveau zéro de l’animé occidental pour gamin.