Ecran Large est de retour sur la Croisette pour le Festival de Cannes 2025. Et c’est l’heure de parler d‘Julia Ducournau, après sa Palme d’or pour Titane.
Il y a des films qui ont plus de pression que d’autres à Cannes. En seulement deux longs-métrages, Julia Ducournau est devenue un nom important du paysage cinématographique français, d’autant plus en étant l’une des rares représentantes d’un cinéma de genre hexagonal sans concession. En 2016, Grave avait fait sensation à la Semaine de la critique, où les avis dithyrambiques (et les malaises de certains) en ont fait un phénomène des festivals mondiaux.
Et en 2021, c’était la consécration ultime et inattendue. Titane repartait de la compétition officielle avec la Palme d’or, catapultant au age sa réalisatrice comme une autrice sur laquelle il faudra définitivement compter. On notera d’ailleurs que la réception de Titane a ouvert une voie dans la sélection de Thierry Frémaux, qui a donné à des films de genre comme The Substance un tremplin important. Alpha, le troisième film de Julia Ducournau, de nouveau présente en compétition, a donc un certain poids sur ses épaules.
Mauvais sang
De quoi ça parle ? Alpha, 13 ans, est une adolescente agitée qui vit seule avec sa mère. Leur monde s’écroule le jour où elle rentre de l’école avec un tatouage sur le bras.
Et ça vaut quoi ? La première chose qu’il faut accepter avec Alpha, c’est que son teaser mystérieux à voir ci-dessus cherche à vendre ce que le film n’est pas. Oubliez les explosions de violence insoutenables de Grave et de Titane, puisque le troisième film de Julia Ducournau s’assume comme son plus cérébral et symbolique. D’ailleurs, pour ceux qui voudraient se préserver de toute information sur son concept véritable, on vous déconseille la lecture qui suit.
Concrètement, Alpha est une métaphore sur le sida, dans un monde aux airs apocalyptiques où les gens infectés par une mystérieuse maladie se transforment petit à petit en êtres de marbre. Visuellement, l’idée surprend autant qu’elle convainc, bien qu’il faille attendre un certain moment pour comprendre où le récit nous emmène.

En réalité, Julia Ducournau nous mène tout du long sur une fausse piste, en faisant de son personnage éponyme (Tahar Rahim, dont la transformation physique reste impressionnante), ancien camé qu’elle essaie de protéger de ses démons.
Ajoutez à ça une double temporalité qui brouille ses traces (sauf dans l’étalonnage…), et vous avez là un scénario sibyllin pour pas grand-chose, si ce n’est peut-être pour cacher l’évidence qui entoure son motif principal. En métamorphosant les défunts en statues, Ducournau évoque une stagnation, une boucle dans laquelle s’enferme le personnage de Golshifteh Farahani, incapable d’envisager le départ de ceux qu’elle aime, et par extension son deuil.

A partir de là, la toile de symboles du long-métrage voudrait esquisser les thèmes qui entourent son sujet, de la froideur d’un système médical déé à l’acharnement thérapeutique. Malheureusement, ce fourre-tout ne sait pas choisir entre son réalisme poétique et ses élans plus naturalistes. é son trio de tête, le reste des personnages secondaires n’a jamais l’occasion d’exister (pauvre Emma Mackey, limitée à de la figuration de luxe), et le worldbuilding prémâché de l’ensemble ne cherche même pas à cacher sa seule nature allégorique.
Et c’est au fond ce qui agace le plus avec Alpha, qui tombe dans le piège d’un cinéma de genre qu’il faudrait « anoblir » en inversant les priorités. Ce n’est plus le concept fantastique et son développement au premier degré qui permet d’y sous-tendre des métaphores. Au contraire, le manque de confiance dans le dispositif narratif amène à penser au sens et aux symboles avant l’histoire censée les porter, comme si les artistes se croyaient plus malins que leur sujet (et dans le cas présent, il suffit de citer Mauvais sang de Leos Carax comme modèle bien supérieur).
Ironiquement, pour une cinéaste qu’on a toujours comparée à David Cronenberg pour son goût (et renouveau) du body-horror, Julia Ducournau semble avoir condensé en trois films la trajectoire de son mentor de cinéma. Beaucoup reprochent à Cronenberg la scission claire entre les deux parties de sa carrière : celle qui a permis à un cinéma B et punk de hanter leur époque de questionnements philosophiques profonds, et la seconde, marquée par un intellectualisme plus frontal, et par extension moins subtil, malgré l’absence de prothèses de mouches ou de têtes explosées.

La surprise que fut Grave tenait à cet équilibre, qui partait d’un contexte réel et savamment reconstitué (les écoles de vétérinaire) pour y ajouter au fur et à mesure les pièces de son puzzle extraordinaire et gore, qui gagnait dès lors une valeur et un effet choc au cœur de ce contexte. Cette épure était déjà moins évidente dans Titane, un peu trop fier de sa structure en deux parties qui s’amusait à détourner son programme originel, entre Crash et le film de serial killer. Mais au moins, il y avait un programme et la compréhension de ses codes.
Avec Alpha, Julia Ducournau met la charrue avant les bœufs, au point d’être déjà sa propre version d’un Cronenberg vieillissant, alors qu’on attendait de sa fougue et de son succès un semblant de révolution (on précisera qu’on aime beaucoup le cinéma récent du maître canadien, qui en a encore sous la pédale). On pourrait bien sûr mettre cette déception sur le compte de la diffusion d’Alpha à Cannes, qui ne peut éviter la comparaison avec les films précédents de la réalisatrice, sans parler de sa dimension nébuleuse, pas facile à appréhender après 4 projections dans la journée, même avec une intraveineuse de café.

Il y a bien sûr des métaphores qui ont dû nous échapper dans ce court texte à chaud, mais il y a aussi une réalité plus simple : à force de valoriser son aspect théorique et conceptuel, Alpha peine à procurer la moindre émotion, alors que ses éléments mélodramatiques s’y prêtent. On reconnaitra au moins à Ducournau la consistance de ses thèmes filmiques, qui se croisent entre ses trois longs-métrages. L’attraction et la répulsion du corps sont avant tout une question de génétique, perçue par la cinéaste comme une merveille scientifique concrète et une malédiction métaphorique. Nous voilà toujours raccrochés à notre famille, à la chair de la chair et ses biais, à une forme d’inné qui constituait autant le twist final de Grave (les parents eux aussi cannibales) que le rapport compliqué à la maternité dans Titane.
Problème, Julia Ducournau troque ici ses idées visuelles pour des dialogues patauds et des gros plans sur les larmes de Golshifteh Farahani. Peut-être qu’à tête reposée, Alpha saura dévoiler quelques clés de lecture intéressantes, mais le constat est sans appel pour nous : il s’agit d’une des plus grosses déceptions de la compétition 2025.
Et ça sort quand ? Le 20 août 2025, grâce à Diaphana.
D’un côté j’ai très envie de pouvoir soutenir le cinéma de genre « made in », de l’autre… malheureusement je n’ai pas vraiment apprécié ni grave ni titane. Pas convaincu par son cinéma et j’ai l’impression que cela ne changera pas avec ce film.
N’ayant pas encore vu Alpha je préfère rester prudent mais l’article laisse entendre ce que je redoutais un peu concernant ce troisième long métrage de Ducournau.
Il y avait eu beaucoup d’emballement critique pour Grave (que j’avais adoré), c’était plus mitigé pour Titane (que j’avais apprécié)… l’accueil réservé a ce troisième essai ne m’étonne pas vraiment mais je reste curieux.
Ouch, j’ai lu en diagonale pour garder un peu de mystère mais j’avais assez hâte de découvrir ce film. Même si je pense que Grave restera son Magnum opus, Titane m’avait assez plu ! Et du coup, Alpha je l’attends pas mal.
Hâte de me faire mon propre avis ! 🙂
Autant savoir en vrai que c’est pas le film qu’on pourrait attendre. Ça évitera les mauvaises surprises.
Le film se fait defoncer. En même après la palme d’or la plus surévalué ever on est pas très étonné. Ducournau a fait le sympathique Grave , mais le très moyen titane a été une déception et celui là semble confirmer que Ducournau est un (joli) pétard mouillé
J’attends de voir, car je reste curieuse… attendant « quelque chose » de cette réalisatrice. Grave m’a laissée de marbre, l’affiche étant plus intriguante et humble que le scénario lui-même (ouais bon une famille de cannibale hum…. okay) et le jeu des 2 actrices, soeurs à l’écran, excessif et sans nuances. Pourtant Garance Marilier à quelque chose et resterai en veille de ce qu’elle fait. Titane était incohérent, poussif, pénible. J’ai apprécié de revoir Lindon, plus puissant que jamais à l’écran. Mais pour le reste : quelle purge…. la fille à papa caricaturalement destroy et hystérique pour rien et faisant semblant de dénoncer n’importe quoi…. pffff… on e. Pas de malaise pour moi dans les 2 cas : juste un profond ennui. Je tenterai Alpha car je ne veux pas encore m’avouer vaincue avec Ducourneau… wait and see.