Ecran Large est de retour sur la Croisette pour l’édition 2024 du Festival de Cannes, en partenariat avec Métal Hurlant. Et c’est l’heure de revenir sur David Cronenberg, présenté en compétition.
Métal Hurlant nous accompagne à Cannes cette année, dans notre exploration des sélections hétéroclites du festival. Au travers de récits de bande dessinée et d’articles sur l’actualité culturelle, Métal Hurlant développe avec éclectisme, dans quatre numéros par an, un imaginaire sans aucune limite. Une ligne éditoriale totalement en accord avec la soif d’expérimentations et de découvertes du Festival de Cannes.
David Cronenberg est plus qu’un habitué du Festival de Cannes, il fait presque partie des murs. Prix du Jury pour Crash en 1996, le cinéaste a foulé le tapis rouge à six reprises et ne s’est pas fait prier pour monter les marches une septième fois avec son nouveau film, Les Linceuls, se penchant, entre autres, sur un cimetière connecté. Après le mal-aimé et pourtant sublime Les Crimes du futur, on était forcément curieux de plonger dans son univers aux côtés de Guy Pearce.
la mort du futur
De quoi ça parle ? Après le décès de son épouse, Karsh, un homme d’affaires renommé, a inventé un système révolutionnaire et controversé : GraveTech. Sa technologie permet aux vivants de se connecter à leurs chers disparus dans leurs linceuls. Lorsque plusieurs tombes sont profanées, dont celle de sa femme, il cherche à retrouver les coupables.
Vlogs de #cannes2024 @Ant_Desrues revient sur LES LINCEULS, le nouveau film de David Cronenberg, plus intime et personnel que jamais ⬇️ pic.twitter.com/iQmiaMiJQi
— Ecran Large (@EcranLarge) May 22, 2024
C’était comment ? David Cronenberg ne l’a pas caché, Les Linceuls est l’un de ses films les plus personnels, si ce n’est son film le plus personnel. Le personnage de Karsh, incarné par Vincent Cassel, est un évident alter ego (notamment physiquement) et le scénario a germé lors de la mort de sa propre femme, Caroly Zeifman, en 2017. Comme il le raconte dans le dossier de presse : « Ce drame m’a touché très profondément et ce qui devait être une exploration technique est devenu, peu à peu, une exploration émotionnelle et personnelle ». D’ailleurs, l’auteur de ces lignes pense avoir aperçu dans le film un faux-cadavre de Cronenberg lui-même arraché à sa tombe… mais ne s’épanchera pas plus là-dessus.
Une chose est sûre, dans les premiers instants du film, David Cronenberg plonge dans un drame intime bouleversant tout en conservant l’originalité technologique au coeur de sa filmographie. À travers un date amusant, se déroulant dans un restaurant implanté au milieu d’un cimetière, les rouages de son invention sont dévoilés aux spectateurs d’une manière à la fois fascinante et perturbante. Karsh ne pense qu’à son système connecté, et dévoile ainsi le cadavre en décomposition de son épouse dans son linceul à la femme avec qui il déjeune, sans trop se rendre compte du malaise qu’il crée.
En quelques secondes, le chagrin pesant sur les épaules de Karsh est mis à jour dans une ambiance glauque et loufoque (le mot « encrypted », à double sens). Comme la douleur de son deuil est immense, son besoin de retrouver le corps de sa femme à travers un écran connecté est devenu obsessionnel. C’est le seul moyen pour lui de continuer à vivre, de conserver son souvenir dans sa réalité, de comprendre ce qu’elle devient et de rester connecté à ses émotions. « C’est mieux que le rapport que j’avais avec elle, son corps, dans la vie », assène Karsh à Terry, la soeur jumelle de sa défunte épouse (Diane Kruger joue les deux rôles ainsi que l’IA Hunny), dévoilant ses failles psychologiques.
C’est dans ces moments-là, tout comme lors de l’utilisation sensible du Linceul par Karsh lui-même, que Les Linceuls (The Shrouds en version originale) est le plus réussi. David Cronenberg crée une vraie poésie funèbre, un poème sur l’étrange frontière qui nous sépare de l’au-delà, étudiant encore et toujours les métamorphoses du corps humain, doublé d’une réflexion continuelle sur l’identité (notamment numérique). Il parvient à pleinement décrire le bouleversement engendré par la perte, son acceptation difficile (voire impossible) et l’absence insoutenable de l’être aimé qui ronge les survivants.
Le déclencheur de tout le bazar
DEAD zone
Avec sa première demi-heure presque exclusivement axée sur ces questions, Cronenberg n’a donc pas besoin de grand-chose pour émouvoir, malgré une ambiance glaciale. Toutefois, ce beau voyage tombe étrangement à l’eau par la suite, la dégradation des tombes GraveTech menant le scénario dans une tout autre direction. Docteur disparu, signes vikings étranges, trackers, messages sibyllins… Les Linceuls se transforme progressivement en polar où mensonges, trahisons et complots se succèdent, voire fusionnent.
Cronenberg a expliqué sa démarche dans le dossier de presse : « Étrangement, quand quelqu’un meurt, il y a toujours un élément de complot qui vient se mêler à la douleur. On se demande si le traitement médical était le meilleur, si le personnel a vraiment bien pris soin de la personne malade, si les médicaments étaient les mieux adaptés, etc. C’est donc de cette paranoïa-là que je traite dans Les Linceuls ; cette théorie du complot presque inévitable lorsqu’il est question de vie et de mort ».
Sur le papier, c’est en effet une idée ionnante. Dans la pratique, cela donne un film d’espionnage franchement barbant qui s’enlise dans une intrigue peu captivante, où les multiples branches s’ajoutant au récit (interventions russes et chinoises, propension des intelligences artificielles, mystérieuse récurrence de l’Islande…) finissent par rendre l’ensemble assez incompréhensible. Le film devient presque rebutant avec ses grands dialogues abscons tentant d’expliquer les différentes liaisons et ramifications dans des champs-contrechamp fainéants.
C’est un vrai crève-coeur tant Les Linceuls est jalonné d’instants magnifiques (dont une scène de sexe), explore le corps sous toutes ses formes (l’utilisation ingénieuse des rayons X) et contient une jolie introspection de Cronenberg (« Tu as construit ta vie autour du corps. » ; « Becca était le sens du monde, de la vie« ). Qui sait, peut-être que le film se révèlera plus ionnant et moins confus après plusieurs visionnages (l’enchainement de films en festival en désavantage parfois certains), mais à ce stade, c’est une désillusion.
Et ça sort quand ? Le film sortira le 25 septembre 2024 en .
Cassel est inable. Son jeu sa voix ses intonations.
la tronche de Deterré de V Cassel!