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Le film d’arts-martiaux charcuté par Luc Besson : Ong-Bak, ou la naissance de Tony Jaa

Par Ange Beuque
23 mai 2024
MAJ : 2 juin 2024

Le nouveau Bruce Lee thaïlandais, Tony Jaa, se transforme sans trucage en avatar de Street Fighter dans le spectaculaire film d’arts martiaux Ong Bak.

Ong Bak: Muay Thai Warrior : Luc Besson charcute la nouvelle référence du film d'arts martiaux : Ong-Bak, garanti sans t

Tony Jaa y laboure le sillon de Bruce Lee. Alors, Pinkaew a-t-il réussi son pari ?

Jet Li, Jacki Chan, Donnie Yen... ils sont nombreux les candidats au titre de "nouveau Bruce Lee", censés combler le vide laissé par le décès tragique du Petit Dragon. C'est toutefois du côté de la Thaïlande qu'émerge l'un des plus sérieux postulants : Tony Jaa, qui crève l'écran en 2003 dans Ong-Bak.

Si la palme d'Or 2010 de Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures de Apichatpong Weerasethakul a remis la Thaïlande sur la carte cinématographique, le film d'action de Prachya Pinkaew avait largement débroussaillé le terrain. Pour son tout premier long-métrage, le réalisateur assène au public l'équivalent d'un double coup de coude dans l'arête nasale.

 

Ong Bak: Muay Thai Warrior : Tony Jaa Unagi

 

Le nouvel étendard des arts martiaux

Prachya Pinkaew s'attelle lui-même au scénario de son futur chef d'oeuvre. Certes, le périple de son vertueux héros pour retrouver une statuette de bouddha est aussi surprenant que la vue d'un tuk-tuk dans les rues bangkokoises. Mais dans ce domaine, l'efficacité prime sur l'originalité, et sa route est logiquement pavée de grappes de voyous, de combattants de métier et de petites mains au service de la mafia locale.

L'obsession du cinéaste pour les arts martiaux ne sort pas de nulle part : il a grandi en se gavant de la filmographie gargantuesque du chanteur et acteur thaïlandais Sombat Metanee. Alors quitte à avoir d'immenses ambitions, Pinkaew se donne les moyens de les accomplir : il consacre trois années de sa vie à tourner Ong-Bak.

 

Ong Bak: Muay Thai Warrior : Tony Jaa Non, ceci n'est pas une émission culinaire sur le poulet mariné au lait de coco et basilic

 

Mais dans une industrie cinématographique qui se relève à peine de la crise économique asiatique, les deniers ruissellent moins que la mousson. Le réalisateur fonde sa propre compagnie de production en 1997, Baa-Ram-Ewe, affiliée à une société particulièrement puissante : la Sahamongkol Film International.

Il doit toutefois négocier les chutes de pellicule, qui dans nombre de pays sont détruites, mais qui, en Thaïlande, connaissent une seconde vie... contre espèces sonnantes et trébuchantes. Le système D expose à quelques déconvenues : un lot périmé l'oblige notamment à jeter quatre semaines de tournage à la poubelle.

 

Ong Bak: Muay Thai Warrior : Tony Jaa Select your Thai Warrior

 

Mais Pinkaew s'accroche à son rêve, sans rien céder sur son exigence. Peut-être avez-vous soupé de cet élément de langage qui a métastasé dans la plupart des tournées promotionnelles hollywoodiennes : l'absence de VFX ? La plupart du temps, c'est de la poudre numérique aux yeux jetée par des marketeux sans scrupule. Pas Ong-Bak : lui assume totalement sa promesse d'un spectacle garanti sans dopant artificiel injecté en postproduction.

Pinkaew mise sur un maximum d'authenticité en plateau : les acteurs dissimulent des casques sous leurs cheveux pour pouvoir s'échanger de vrais coups. Les courses-poursuites et les acrobaties sont capturées sans trucage. Et les câbles effacés numériquement ? C'est bien simple : il n'y en a pas, puisque l'intégralité des cascades est effectuée sans filet de sécurité.

La réussite d'Ong-Bak n'en est que plus saisissante : les scènes d'action brillent par leur fluidité et leur lisibilité sans défaut. À l'exception de ralentis parfois trop gourmands, la réalisation des combats s'épargne toute fioriture au profit d'une intensité époustouflante.

 

Ong Bak: Muay Thai Warrior : Tony Jaa Pourvu que Tom Cruise accepte un combat sans effets spéciaux contre moi

 

L'avènement présumé d'une idole

Mais ce prodige n'aurait pu se concrétiser sans un acteur capable de relever un tel défi physique. Pinkaew s'est tourné vers le spécialiste des cascades Panna Rittikrai, qui a joué dans une cinquantaine de films d'arts martiaux, pour qu'il lui déniche la perle rare. Celui-ci lui présente alors un certain Phanom Yeerum, connu en occident sous le nom de Tony Jaa.

Pour le jeune homme, le rôle principal d'Ong-Bak constitue une consécration arrachée au prix de la sueur. Issu d'un petit village de la province de Surin, il se retrouve à vendre des sandwichs derrière un studio de cinéma à l'âge de six ans. À quinze ans, son goût pour les acrobaties lui vaut d'être repéré par Rittikrai, qui en fait son élève. Jaa s'y forme aux arts martiaux, sacrifiant neuf à dix heures quotidiennes à son entraînement.

 

Ong Bak: Muay Thai Warrior : Tony Jaa La naissance du dragon

 

Sa carrière au cinéma se constitue d'abord d'apparitions et de cascades (y compris à Hollywood, notamment dans l'inénarrable Mortal Kombat : Destruction finale). Ong-Bak consacre son avènement : en l'absence d'artifices, le film requiert un investissement sans faille.

Il faut dire que Jaa ne manque pas de cordes à son arc : il a pratiqué le taekwondo, l'aïkido, le jiu-jitsu brésilien, sans compter ses compétences en gymnastique et dans le maniement d'épées. Mais sa grande spécialité, celle qui assurera sa réputation (et celle du long-métrage), c'est le muay-thaï.

Cette boxe thaïlandaise, héritière du muay-boran, est théoriquement réservée à la défense. Elle est surnommée l’"art des huit membres" en référence aux parties du corps qu'elle mobilise. Peu connu en nos contrées, cet art se distingue par son caractère spectaculaire et sa cinégénie : ceux que le vieillissement de Jet Li sevrait de kung-fu y trouvent leur dose.

 

Ong Bak: Muay Thai Warrior : Tony Jaa Sans les mains (ni les câbles)

 

En vue du rôle, Jaa redouble d'ardeur dans son entraînement. Son investissement paie : il peut assurer sans sourciller l'intégralité des scènes sans recourir au moindre cascadeur. À l'image, ses capacités hors norme font des merveilles : même sans câble, contrairement à nombre de ses concurrents, sa rapidité d'exécution et son élasticité à la limite de la plausibilité physique évoquent un avatar de jeu vidéo, contribuant à son succès auprès des jeunes.

Agile et puissant, Jaa se dépense sans compter pour enchaîner coups de coude et de genou dévastateurs. Son talent éclate à la face du monde : il est adoubé par Jet Li et Jackie Chan, qui figurent au nombre de ses idoles, et écope de la réputation de nouveau Bruce Lee. L'acteur déclinera ce filon en donnant deux suites à Ong-Bak, qu'il co-réalisera avec son mentor Rittikrai.

 

Ong Bak: Muay Thai Warrior : Tony Jaa Quand tu réfléchis déjà à ta reconversion comme bonze

 

Le rôle paradoxal de Luc Besson

En plus de cartonner au box-office local, Ong-Bak est sans conteste devenu, avec Oncle Boonmee, la production thaïlandaise la plus populaire en nos contrées. Certes, et bien qu'on aurait tort de réduire le cinéma thaïlandais, les films d'action ont toujours eu plus de facilités à s'exporter à l'international. Mais pour réussir à s'imposer au-delà de ses frontières, l'oeuvre de Pinkaew a bénéficié du coup de pouce inattendu d'un certain Luc Besson.

Ong-Bak est envoyé à Cannes pour tenter sa chance en sélection. Le festival l'éconduit poliment. Mais quelqu'un le transmet au réalisateur de Léon, pressentant qu'il y a là matière à aiguiser son intérêt. Gagné : Besson le visionne dans la foulée en dépit de l'heure tardive. "À deux heures du matin, j'appelais la Thaïlande en leur demandant s'ils avaient besoin de moi", raconte-t-il (La Dépêche du Midi).

 

Ong Bak: Muay Thai Warrior : Tony Jaa Le dernier combat

 

Besson est justement en train de délaisser petit à petit la réalisation pour se consacrer pleinement à d'autres aspects de l'industrie cinématographique, notamment la production : Europacorp prend la relève de Leeloo production en 2000. La casquette de distributeur ne lui déplaît pas non plus.

Son amour du genre est sincère : son adolescence a été rythmée par les films d'arts martiaux, et une partie de sa filmographie (au sens large) atteste de son penchant pour l'action. Deux ans plus tôt, il a d'ailleurs produit Le baiser mortel du dragon avec Jet Li. Alors Besson s'investit personnellement pour faire connaître Ong-Bak et devient son ambassadeur en Europe. En , il programme des avant-premières auxquelles il se rend à la rencontre du public afin de mobiliser au maximum.

 

Ong Bak: Muay Thai Warrior : Tony Jaa Pour l'honneur des nak muays

 

Pour l'anecdote, l'association fait particulièrement sens puisqu'un petit message à son attention est caché dans le film. Alors qu'un pousse-pousse fait un piqué contre une façade en arrière-plan, on peut distinctement lire sur un pylône de pont l'inscription suivante : "Hé Luc Besson, on t'attend !".

Que Besson ait été appâté par ce boost d'ego, le potentiel commercial du genre ou un attrait sincère, l'essentiel est acquis : Ong-Bak peut déchainer ses coups sur l'Occident. Alors, merci Luc ? Pas totalement... car si on lui doit indéniablement d'avoir découvert le film, il n'a pu s'empêcher au age de faire une Weinstein : triturer l'oeuvre à sa guise pour répondre aux supposés goûts de son public cible.

 

Ong Bak: Muay Thai Warrior : Tony Jaa On t'attend... pour te casser la tête

 

Besson lui inflige donc un remontage, élaguant quelques plans afin de rendre les scènes de combat plus nerveuses. Il coupe carrément la sous-intrigue de la sœur de Ting, évacue toute référence à la drogue et ajoute du hip-hop au générique. Les changements apportés se révèlent moins spectaculaires que ce que la rumeur en a colporté, mais au pays de la politique des auteurs, ça reste la honte.

S'il n'a heureusement pas connu la fin précoce de son modèle, Tony Jaa n'a pas non plus totalement confirmé son statut de Bruce Lee en puissance. L'Honneur du dragon, pour lequel il a retrouvé Pinkaew, a pourtant cartonné en Thaïlande, mais la suite de sa carrière fut plus aléatoire : retraite spirituelle pour devenir moine bouddhiste, ennuis judiciaires, apparition dans Fast and Furious... ce qui rend le petit miracle d'Ong-Bak encore plus savoureux.

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Mina
Mina
il y a 1 année

Je veux un collier

BZH Punisher
BZH Punisher
il y a 1 année

C’est bien sur ce film que LUC BESSON avait mis des musique de RAP de merde… ça cassait le ryhtme du film… Les modifications de BESSON ont laminé le film…

Kolby
Kolby
il y a 1 année

@hdeuzo
Il n’a pas exploser tout simplement parce qu’il est Thaïlandais…
Comme ce fut le cas Jackie et jet Li, il va devoir attendre malheureusement je pense que c’est fini pour lui. Son jeu d’acteur reste quand même à desirer

Hdeuzo
Hdeuzo
il y a 1 année

Le 1er Ong bak était une vraie claque avec un Tony Jaa exceptionnel. Le 2 vraiment pas mal aussi même s’il perdait évidemment l’effet de surprise du 1er. Mais le 3! Qu’est ce que c’était ? Rien à voir avec les 2 premiers. Une déception totale.
Par contre, je n’ai pas compris pourquoi cet acteur n’avait pas explosé derrière comme un jet li.

Guihome
Guihome
il y a 1 année

Je pense que c’est le dernier ong black qui a desservi Jaa, le milieu où se e le film par exemple…
Maintenant un spectateur veulent du Show dans des villes etc..

Leepifer
Leepifer
il y a 1 année

Clairement, une énorme claque à l’époque qui venait répondre aux folies HK. Une générosité dans la brutalité choregraphiee avec des cascadeurs qui doivent encore avoir mal au dos. Une nouvelle star surdoué qui jouait… Comme il pouvait mais qui donnait sans compter.
À la fois charnière et aussi une certaine fin d’époque annoncée ou les cut et autres effets spéciaux allaient enrayer la machine à de rares exceptions près comme The Raid, en effet. D’ailleurs, le premier avec Uko Uwais, Merantau, vaut également son pesant de cacahuètes (pour éléphant).

BATMALIEN
BATMALIEN
il y a 1 année

Tony Jaa = acteur très sous-exploité 🙁

mandale
mandale
il y a 1 année

Ong bak avait eté un évènement à son époque et le magazine Mad Movie avait decouvert et parlais déjà du film bien avant la découverte de besson et de sa sortie en (2002).
Meme si le film avait un petit coté « amateur » dans sa conception (notamment le sound disign).
Les performances physiques de Jaa entaient juste folles( ces sauts au dessus de voiture juste avec son elan). Meme si le film abuse du triple montage lors de ses scènes d’actions ( jackie chan le fesait deja 20 ans avant). Ca reste du tres hauts niveau.
Mais il faut voir l’honneur du dragon, bien plus aboutit techniquement et plus osé niveau action(notamment sa derniere partie folle et ultra genereuse, le fameux plan sequence, la baston a 1 contre 100, le combat épique contre Nathan Jones et ses sbires).
Merci a ecran large d ‘avoir parlé de ce film, mais ce serai sympas d’avoir plus d’article sur ce genre de cinéma d’action asiatique, notamment cette période absolument folle du cinema d’action hong kongais des années 80. Peace.

Saiyuk
Saiyuk
il y a 1 année

Un sacré film, des chorè simple et brutal, un art martial peu vu à cette époque, une bonne gifle avant la mandale The raid.
Jackie et Jet n’était pas dans les pas de Bruce Lee, trop d humour, Donnie Yen s’en rapproche plus, mais eux ou Jaa, ou iko Uwai je kiff

Marvelleux
Marvelleux
il y a 1 année

20 ans déjà. Toujours pas de sortie en 4k ?