La dure à cuire Karyn Kusama.
"Où sont les femmes ?", s’époumonait Patrick Juvet (paix à son âme) en pleine vague disco. C’est un peu la question que l’on se pose en constatant l’absence dramatique de boxeuses au cinéma. De Raging Bull à Ali en ant par Rocky, la boxe a presque toujours été la chasse gardée des hommes, reléguant les seuls rôles féminins à des personnages d’épouses ultra-flippées à l’idée de voir leur mari se prendre une raclée. Il fallait donc bien que cette vieille rengaine prenne fin, au moins le temps d’un film (heureusement pour nous, Million Dollar Baby suivra et quelques autres).
Mais c’est avec Girlfight que le virage fut véritablement amorcé, lançant les carrières respectives de sa réalisatrice, Karyn Kusama, et de son actrice principale, Michelle Rodriguez. Primé coup sur coup aux festivals de Sundance et de Deauville, le film a surtout marqué les esprits, et à raison, pour le grand cri de guerre féministe qu’il représentait à l’époque et représente toujours aujourd’hui.
GARÇON MANQUÉ
Difficile de faire plus rentre-dedans que ce premier regard belliqueux adressé par Diana (Rodriguez donc) à la caméra dès l’ouverture du film. Oui, elle a les nerfs en pelote et pour cause, tout son environnement la prédestine à une vie de misère. Résidant à Brooklyn avec son père, un homme violent, et son frère cadet, tout sauf un bagarreur né, Diana doit compenser et surtout décompresser. Elle y parvient le jour où la boxe fait irruption dans son quotidien et qu’un dénommé Hector, une ancienne gloire du ring, la prend sous son aile.
Mais avant d’envoyer ses adversaires dans les cordes, l’héroïne en assimile tous les attributs, affichant une virilité et donc une puissance qu’elle rattache invariablement au "sexe fort". "Ne me traite pas en poupée, tu sais que je ne le suis pas", répond-elle à son géniteur qui voudrait bien la voir porter des jupes plus souvent. Une opposition farouche que l’héroïne conserve à l’égard de tous les stéréotypes sexistes que les hommes et plus généralement le système patriarcal font peser sur elle.
Malgré tout, Girlfight évite de tomber dans la détestation unilatérale de la gent masculine. À plusieurs reprises, Diana ire les boxeurs qui s’entraînent ou s’affrontent, moins par stricte attraction physique – encore qu’elle succombe très vite au charme d’Adrian (Santiago Douglas) – que par pure volonté de mimétisme. Dans ces moments-là, la réalisatrice insiste bien sur le paradoxe qui anime l’héroïne, partagée entre son rejet de la misogynie facile, bien ancrée dans le milieu de la boxe, et sa fascination pour le combat.
En ce sens, Kusama assume un propos féministe où l’égalité des sexes adviendrait dès lors que la frontière entre féminin et masculin serait brouillée. En singeant d’abord ses concurrents, essentiellement des hommes (l’une des audaces du film étant de mettre en scène des matchs mixtes), Diana cherche à gagner leur respect pour mieux reconquérir sa propre féminité. C’est tout l’enjeu notamment de sa relation avec Adrian, son amant et rival. Elle attend qu’il lui rende coup pour coup sur le ring, mais lui s’y refuse par fausse grandeur morale.
K.O. TECHNIQUE
"En termes de mouvements de caméra, je voulais travailler sur deux tensions, un cadre très composé, verrouillé, et un style plus lâche, improvisé, proche du ‘cinéma-vérité’ (…)" expliquait la cinéaste dans une interview accordée à Bomb Magazine, avant d’ajouter : "un des plus gros défis était de trouver un moyen de rendre chaque match de boxe distinct des autres, qu’il raconte sa propre histoire". Là-dessus, aucun doute, on a rarement vu adéquation plus forte entre l’intention et l’exécution.
Tout tient à une logique simpliste de prime abord, à l’image de ce scénario d’ascension sportive à priori vu et revu dans le cinéma hollywoodien. Mais en collant à ce point à l’électron libre qu’est Diana, Kusama se rebelle à son tour contre un certain nombre de conventions esthétiques. Pendant un long moment, la caméra préfère rester en dehors du ring, captant les combats à distance, puis à mesure que l’héroïne se jette viscéralement dans l’arène, les plans se resserrent sur elle, jusqu’à épo sa subjectivité au cours d’une scène pivot où elle affronte sa première et seule adversaire féminine.
À la fois léchée et texturée, l’image revendique néanmoins un réalisme cru auquel le grand public était encore peu habitué à l’époque avec ce type de films, souvent lissés par des impératifs de studio. Exit donc la glamourisation ici, surtout venant d’une réalisatrice issue elle-même du milieu de la boxe et reconnaissant volontiers la violence organique de ce sport. Que la mise en scène de Girlfight carbure à l’instinct n’a alors rien d’étonnant et l’autorise même à être plus agressive et expérimentale que la moyenne.
On citera surtout l’idée de génie, soufflée à la cinéaste par son mentor John Sayles, aussi producteur sur le film, qui consiste à matérialiser les coups de poing reçus ou donnés par Diana par une seconde d’écran blanc entre deux plans. Ce simple effet de montage pourrait sembler anecdotique, voire désuet, mais il corrobore au contraire la démarche punk et avant-gardiste de Kusama qui raconte en sous-texte sa lutte contre une vision traditionaliste, autrement dit poussiéreuse, de la boxe comme du cinéma.
LA MARQUE DES GRAND(E)S
Mais si Girlfight rend bel et bien le pouvoir aux femmes, il y parvient surtout en catapultant sur le devant de la scène la toute jeune Michelle Rodriguez, et la révélation est de taille. D’autant que ce premier rôle cristallise déjà tous ses futurs choix de carrière. Très loin de la demoiselle en détresse, jamais sexualisée outre mesure, elle est restée fidèle à ses principes, quitte à écoper de personnages voués à mourir le plus souvent, la preuve en est dans Resident Evil, Lost : Les Disparus ou encore Avatar. Pauvre Michelle, l’esprit d’indépendance se paie toujours au prix fort.
Pour autant, rien ne l’a jamais arrêtée, et c’est pourquoi le rôle de Diana lui colle tant à la peau. Reste qu’on ne devient pas boxeuse sur un malentendu, et pour endosser les gants correctement, l’actrice s’est entraînée d’arrache-pied (trois mois et demi au total), à l’instar de son alter ego fictif, qui fait davantage que chatouiller le sac de frappe tout au long du film. "Les gagnants ne lâchent jamais, les lâcheurs ne gagnent jamais", lit-on au détour d’un insert qui a valeur de rappel pour l’héroïne, alors en plein combat.
C’est cette formidable endurance qui honore autant le personnage que son interprète, prêtes à en découdre respectivement avec les super-machos de leur profession. Dans le film, le coach d’Adrian symbolise justement ce mépris de genre institutionnalisé, déclarant : "Ce truc d’égalité va trop loin", après que Diana a été désignée comme la prochaine adversaire de son poulain. Et malgré tout, l’héroïne ne se décourage pas, au contraire même, toutes ces brimades la poussent à s’imposer de plus belle.
En 2017, Rodriguez ne s'est pas non plus laissée abattre et a menacé de quitter la saga Fast and Furious si son rôle et celui de ses collaboratrices à l’écran n’étaient pas mieux considérés dans les volets suivants. Il faut croire que son avertissement a été pris au sérieux, l’actrice ayant bien voulu rempiler dans l’aventure. En somme, il n’y en a pas deux comme elle, et sa contribution à la cause des femmes, ainsi qu’à son combat, nous éclaboussait déjà au visage avec Girlfight.
Non content de propulser une boxeuse sous les feux sacrés du grand écran, Girlfight assume donc un regard féministe aussi adroit que tous les talents réunis devant et derrière la caméra. Quelques années avant Million Dollar Baby, voilà un film qui ne craignait pas de bousculer les idées sexistes, et on félicite Michelle Rodriguez d’avoir toujours su ensuite en remontrer aux gros bras du cinéma (coucou Vin Diesel et Danny Trejo).
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Quand bien même elle joue des personnages similaires, j’avoue trouver l’actrice assez charismatique donc ça ne me dérange pas
Les deux derniers films vu avec elle ? Le Steve McQueen et D&D (presque un pastiche d’elle-même)…
Elle est bien, Michelle Rodriguez.
Les rôles qu’on lui propose ne doivent pas être follement variés.
En fait je pense que ce n’est pas Michelle Rodriguez qui est bonne dans ce film…
C’est le film qui est bon pour Michelle Rodriguez !
Effectivement le film était sympa. Effectivement elle y était très bien. Effectivement elle a exactement la même expression depuis 24 ans.
Faire un bon film ne fait pas de vous un bon acteur ou une bonne actrice. Bien que Girlfight soit plaisant à voir, je ne vois pas le talent d’acting dedans. Dans tous ses films ,elle a 1 ou 2 expressions max
@Ultra Vomito
À l’inverse j’ai préféré Girlfight à Million Dollar Baby, comme quoi les goûts et les couleurs…
Si seulement Michelle Rodriguez avait eu une carrière à hauteur de ce film!
Elle a toujours le même rôle dans quasi tout ses films.
Le film en lui même est sympa, mais dans le genre je préfère 100 fois Million Dollar Baby.
Être une bonne actrice, c’est quand on ne fait pas la même expression en permanence et dans tous ses films…