Quelles sont les 10 Palmes d'or du Festival de Cannes qui ont provoqué le plus de polémiques, débats, rumeurs et embrouilles ?
Le Festival de Cannes existe depuis 1946, mais la Palme d'or est née en 1955, succédant au tristement nommé Grand Prix du Festival international du film. Depuis, cette récompense suprême est devenue l'une des plus prestigieuses à travers le monde, et elle est scrutée à tous les niveaux.
Qu'elle soit remise plusieurs fois à un même cinéaste (Francis Ford Coppola, Michael Haneke, Ken Loach, Ruben Östlund, ou encore Emir Kusturica), à une réalisatrice (c'est arrivé trois fois seulement : Jane Campion, Julia Ducournau et Justine Triet), ou tout simplement considérée comme à côté de la plaque (ça arrive environ une fois par an, selon internet), elle est sujette à débat.
On a donc sélectionné 10 Palmes d'or qui ont été entourées de rumeurs, embrouilles et autres bastons, histoire de parler des coulisses parfois croustillantes du Festival de Cannes.
CES MESSIEURS DAMES
- Date : Festival de Cannes 1966
- Problème : Trop vulgaire pour Cannes, apparemment
Dans la série des Palmes d'or oubliées, Ces messieurs dames a une place de premier choix. Deux raisons à cela : la comédie réalisée par Pietro Germi a non seulement déplu à l'époque, mais elle a en plus partagé le prix suprême avec le très aimé Un homme et une femme, de Claude Lelouch.
À l'époque, Ces messieurs dames a été particulièrement mal accueilli, avec un mot qui revenait sans cesse : la vulgarité. "Lelouch méritait certainement la Palme d'or à Cannes, mais il ne méritait certainement pas de l'avoir en ex aequo avec un horrible film italien, d'une vulgarité repoussante", entendait-on au Masque et la Plume.
Cette comédie qui suit les petits problèmes sentimentalo-sexuels d'une poignée de bourgeois (un homme impuissant, un autre qui tente de quitter son épouse pour une serveuse...) a de toute évidence agacé et/ou exaspéré, et le contraste avec le romantisme de Claude Lelouch n'est pas é inaperçu. Pendant la cérémonie de remise des prix, le réalisateur Pietro Germi a donc récupéré la Palme d'or sous les huées et sifflets. Sa réponse : "La prochaine fois, je vous promets de faire un film ennuyeux".
TAXI DRIVER
- Date : Festival de Cannes 1976
- Problème : Martin Scorsese
En 1975, Martin Scorsese est dans un état de santé assez inquiétant. Anxieux, asthmatique, insomniaque... le cinéaste américain a horreur de sa vie californienne et décide donc de rentrer à New York, sa ville. Martin Scorsese se lance alors dans Taxi Driver, lui qui se reconnaît en partie dans le personnage de Travis Bickle, avec son ami Robert De Niro dans le rôle principal et un scénario de Paul Schrader. Quelques mois plus tard, le film est sélectionné au Festival de Cannes en compétition notamment face à Jerry Schatzberg, Joseph Losey ou encore Ettore Scola.
Malheureusement pour Martin Scorsese, Taxi Driver est hué par une bonne partie de l'audience lors de sa première notamment à cause de la scène de fusillade finale. Face à un public révulsé, le cinéaste et ses acteurs sont perdus. Après la projection, "toute la question de la violence dans le film a en quelque sorte explosé. Marty, Bobby et Harvey [Keitel] étaient coincés à l'Hôtel du Cap et sortaient à peine", confiera Jodie Foster en 2016 à The Hollywood Reporter. Ayant vent que le président du jury, Tennessee Williams, a détesté le film, Martin Scorsese est persuadé de repartir bredouille. Il rentre alors à Los Angeles pour terminer New York, New York.
Quand tu ressors grandi de l'expérience
Pourtant, devant l'accueil dithyrambique de la presse et la beauté esthétique du film, le jury se résout à lui décerner la Palme d'or. Martin Scorsese n'est pas présent sur place pour recevoir la récompense, mais c'est un mal pour un bien. Car si le jury lui a décerné le Graal cannois, c'est non sans réserve. Lors d'une conférence de presse, Tennessee Williams est d'ailleurs extrêmement virulent avec le métrage, comme le rapporte Observer-Reporter dans son édition du 29 mai 1976 :
"Regarder la violence à l'écran est une expérience brutale pour le spectateur. Les films ne doivent pas prendre un plaisir voluptueux à faire couler le sang et à s’attarder sur des cruautés terribles comme dans une arène romaine. La violence est un élément du caractère humain et ne doit pas être ignorée, mais à l'avenir, j'espère que le cinéma s'attardera moins constamment sur des valeurs offensantes sans sacrifier la vérité."
Le jury oecuménique décide d'ailleurs de ne décerner aucun prix lors de cette édition, dénonçant une sélection "marquée par des films graves et désespérés, dont certains reflètent une violence rare. Nous craignons que la violence ne réponde à la violence et qu’au lieu de la dénoncer, ces scènes conduisent notre société vers une nouvelle escalade". Rien qui n'empêchera Taxi Driver de devenir le film culte que tout le monde connaît.
APOCALYPSE NOW et le tambour
- Date : Festival de Cannes 1979
- Problème : Cannes choisit son propre gagnant (ou presque) pour attirer le gratin hollywoodien
En 1979, Gilles Jacob est le délégué général du Festival de Cannes depuis seulement un an et forcément, il est prêt à tout pour accueillir Francis Ford Coppola sur la Croisette pour son Apocalypse Now. Comme il le racontera dans son livre La Vie era comme un rêve en 2009 : "Ordres et contrordres, menaces d’annulation à la moindre contrariété : je disais oui à tout, j’acceptais des privilèges jamais consentis". Résultat, alors que Coppola a déjà reçu la Palme d'or en 1974 pour Conversation secrète, il n'est pas censé pouvoir intégrer la compétition (la règle voulant qu'un cinéaste n'ait pas le droit de gagner deux fois la Palme à cette époque).
Lors de sa première, le film impressionne spectateurs et critiques malgré quelques avis divergents... dont celui de la présidente du jury Françoise Sagan. L'écrivaine est restée hermétique au film de Coppola et lui a préféré quelques jours plus tôt Le Tambour de Volker Schlöndorff, comme une bonne partie de ses jurés comptant entre autres Jules Dassin, Susannah York et le critique français Maurice Bessy, délégué général du Festival de Cannes de 1971 à 1978 avant l'arrivée de Gilles Jacob. Sur le papier, sa présence n'est pas problématique, mais elle porte étrangement le nombre de jurés à dix (au lieu de neuf habituellement), ce qui aura son importance.
En effet, le président du Festival de Cannes de l'époque, Robert Favre Le Bret, a été ébloui par Apocalypse Now et veut le voir remporter la Palme d'or. Sauf que lorsqu'il apprend – grâce à Bessy – que c'est Le Tambour qui mène le vote préliminaire à la veille du palmarès, il est pris de panique, angoissé à l'idée que l'image du festival soit froissée et que les studios américains refusent de revenir présenter leurs productions à Cannes. Ni une ni deux, à la veille du vote, lui et Bessy tentent alors de convaincre plusieurs jurés de basculer leur choix en faveur de Coppola. Le lendemain, lors de l'ultime-délibération, la Palme est alors remise à la quasi-unanimité à... Apocalypse Now.
Françoise Sagan est furieuse et menace de démissionner. Afin d'éviter tout scandale, un compromis est trouvé : attribuer la Palme d'or aux deux films, ex aequo en échange du silence de Sagan. L'écrivaine accepte par dépit et le nouveau vote permet ainsi une parfaite égalité à cinq voix partout, dont celui de Bessy pour Apocalypse Now donc. Lors de l'annonce du palmarès, Michel Drucker, déjà présentateur de TV, demande d'ailleurs à Sagan si la discussion a été "longue, laborieuse", sans doute bien conscient du bordel en coulisses. Lors de la cérémonie, Coppola ne dit rien et Schlöndorff évoque un combat entre David et Goliath, miroir de son petit film allemand face à celui de l'Américain.
Finalement, sept mois plus tard, Françoise Sagan brisera le secret, affirmant que le vote a été truqué et dénonce vigoureusement les pressions du festival sur le jury (ce qui n'était pas une première). La presse est hors d'elle, mais le festival contre-attaque en pointant du doigt le comportement de Sagan au Carlton, où elle aurait laissé des notes de frais de près de 15000 francs (environ 2300 euros). Devant ce chaos, Gilles Jacob décide de bouleverser les règles du festival : les gagnants de la Palme d'or pourront revenir en compétition et surtout, la direction du festival n'aura aucun droit de regard sur les décisions du jury pour le palmarès.
Désormais, le délégué général et le président assisteront uniquement au débat en gardant le silence ou pour rappeler les règles du palmarès aux jurés si nécessaire. Une décision importante et opportune, qui n'empêchera toutefois pas quelques autres scandales.
KAMEGUSHA et ALL THAT JAZZ
- Date : Festival de Cannes 1980
- Problème : Une erreur de lettre et voilà encore un bazar dont Cannes ce serait bien é
En 1980, après le scandale de l'édition précédente, Cannes espère éviter un nouveau petit chaos. Pourtant, avant même le lancement des festivités, le festival provoque un petit imbroglio. Alors que la direction veut honorer Douglas Sirk en lui proposant la présidence du jury, le télégramme envoyé contient une erreur de frappe et arrive entre les mains d'un certain Kirk Douglas.
Ni une ni deux, la direction veut réparer sa boulette, mais trop tard, Kirk Douglas a déjà accepté la proposition erronée. Cannes ne veut pas se ridiculiser et se résigne donc à voir Kirk Douglas en président, en sachant très bien qu'il avait déjà été un petit tyran dans le jury de 1970 en forçant la main aux autres jurés pour palmer MASH de son ami Altman. Et sans surprise, en président du jury de l'édition 1980, Kirk Douglas a donc encore montré les muscles.
Ettore Scola, Maurice Pialat, Alain Resnais, Jean- Luc Godard, Hal Ashby, Samuel Fuller, Bertrand Tavernier... la sélection du festival est un grand cru, mais deux films se dégagent plus que tout : Kagemusha, l'ombre du guerrier d'Akira Kurosawa et Que le spectacle commence ! (alias All That Jazz) de Bob Fosse. Le deuxième a la préférence de Kirk Douglas, mais pas de chance pour lui, les autres jurés penchent plus du côté du film japonais. Dans un premier temps, lors du vote face à un Kirk Douglas déterminé à récompenser le film de Bob Fosse, les jurés ne bronchent pas par peur de l'énerver plus encore. Mais bien décidés à ne pas se laisser faire, ils se rebellent finalement tous et décident de ref son diktat.
Gilles Jacob racontera la suite à l'AFP en 2020 : « Il [Kirk Douglas] est parti à son hôtel et n’a jamais voulu revenir, revoter et a dit : “Si c’est comme ça, je ne viendrai pas à la cérémonie”. Et donc Robert Favre Le Bret (président du festival de 1972 à 1984) était très embêté, et on a compris en fait que Kirk Douglas avait déjà téléphoné à Bob Fosse pour lui annoncer la bonne nouvelle. Il y a eu une espèce d’arbitrage, et finalement ça a été une Palme ex aequo ».
Ainsi, lors de l'annonce des prix par Favre Le Bret (en lieu et place de Kirk Douglas), l'acteur est dit souffrant pour exc son absence. Finalement, lors de la remise des prix, il est présent pour remettre la Palme d'or à Akira Kurosawa... mais pas à Bob Fosse, absent. C'est René Donzelot, représentant de la Columbia, qui accepte le prix à sa place et lit un télégramme du réalisateur. De quoi agacer une fois de plus Kirk Douglas déjà bien remonté : « Je crois que pour un grand prix comme ça, un télégramme ce n’est pas assez, on doit être ici pour l’accepter ».
SOUS LE SOLEIL DE SATAN
- Date : Festival de Cannes 1987
- Problème : Personne n'aime Maurice Pialat (à part Cannes)
C'est l'incontournable Palme polémique, pourtant décernée à l'unanimité : Sous le soleil de Satan. Quand Maurice Pialat vient la récupérer sur scène, une bonne partie de la salle ne partage pas l'enthousiasme du jury présidé par Yves Montand, notamment parce que Les Ailes du désir de Wim Wenders était particulièrement aimé dans la sélection (il aura le Prix de la mise en scène).
Catherine Deneuve tente de calmer les huées pour laisser le réalisateur s'exprimer, mais c'est encore pire. Arrive alors l'un des discours les plus mémorables de Cannes : "Je ne vais pas faillir à ma réputation. Je suis surtout content ce soir pour tous les cris et les sifflets que vous m'adressez. Si vous ne m'aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus".
Cet accueil a été d'autant plus marquant qu'à l'époque, la n'avait pas récupéré de Palme d'or depuis 21 ans (Un homme et une femme, de Claude Lelouch). Les images ont donc fait le tour de tous les JT.
Dans la foulée, Yves Montand a défendu ce choix sur Antenne 2 : "On peut forcément — moi-même, je suis comme ça — être sensible à des films peut-être un peu plus abordables, peut-être un peu plus faciles, mais heureusement qu'il y a des Pialat, des Godard, des Resnais, pour porter le cinéma à une autre hauteur. Et je me réjouis que nous ayons voté à l'unanimité, même si deux ou trois membres du jury ont regretté que, parfois, il y avait des mots qui leur échappaient, mais l'unanimité s'est faite d'une façon très spontanée".
Catherine Deneuve en a également reparlé chez Les Inrocks : « Je me souviens très bien de Pialat en train de brandir le poing et de dire, "Si vous ne m'aimez pas, eh bien moi non plus !" C'était une déclaration d'amour de quelqu'un de blessé. J'avais trouvé ça très bien. »
SEXE, MENSONGES ET VIDÉO
- Date : Festival de Cannes 1989
- Problème : un petit jeune vole la vedette aux favoris
Pour son tout premier long-métrage de fiction, Steven Soderbergh aura fait fort. Son drame sensuel Sexe, mensonges et vidéos, avec Andie MacDowell et James Spader en tête d’affiche, est couronné non seulement à Cannes (Palme d’or, pris d’interprétation masculine pour James Spader et prix de la critique internationale), mais aussi à Sundance avec prix du public (sans compter diverses nominations aux Oscars, César, Golden Globes et autres).
Pourtant, qui aurait pu miser sur la victoire cannoise de ce talent tout juste émergent (Soderbergh sera le deuxième plus jeune réalisateur à recevoir la Palme après Louis Malle en 1956), alors que la compétition lui opposait des noms bien plus ancrés dans le tapis rouge de la Croisette ?
Venir chercher son prix sur scène ? Très peu pour James Spader.
Cette année-là, si d’autres futures stars de la réalisation encore inconnues font également leurs premiers pas sur les marches, comme Jane Campion qui vient présenter Sweetie ou Giuseppe Tornatore qui projette Cinema Paradiso, d’autres font déjà office de grands favoris : Bertrand Blier, Spike Lee, Ettore Scola, Jerzy Skolimowski, Emir Kusturica, Jim Jarmusch... Comment le jeune et inconnu Steven Soderbergh, tout juste âgé de 26 ans, pourrait-il faire face ? C’est pourtant bien sa chronique délicate sur la sexualité qui raflera la mise, remise sous un tonnerre d’applaudissements par le président du jury Wim Wenders.
Si le réalisateur éberlué monte sur scène pour récupérer son prix, ce ne sera pas le cas de James Spader, qui n’apprendra que plus tard avoir remporté le prix d’interprétation masculine, puisque lui et le reste de l’équipe, persuadés de n’obtenir aucune récompense, étaient rentrés chez eux avant la fin du festival. Une bien belle histoire, sauf si on prend en compte les réactions des vieux de la vieille qui ont été bousculés par l’arrivée de ce nouveau cinéma, moderne et subtil, qui aura osé voler la Palme à leurs monuments.
Quand bae te mange les poux <3
Au journal télévisé de 3 Régions, qui propose un compte-rendu du festival, on peut notamment entendre le journaliste André Grandis déclarer que “le choix du jury a surpris, [...] on s’attendait à autre chose. Wim Wenders a certainement voulu récompenser le jeune cinéma [...], mais cela dit, ça n’excuse pas les oublis. Des oublis incroyables [...]. Si vous voulez voir des films qui sortent actuellement [...] ne vous fiez pas tellement au palmarès 89, écoutez et lisez plutôt vos critiques préférés. Quant à la Palme d’Or, Sexe, mensonges et vidéos, c’est vrai que c’est un film amusant, qui sort de l’ordinaire, mais ce n’est pas de la trempe des grands cinémas”.
En quelques phrases, plus de sel que sur toutes les plages de Cannes, mais qu’importe : les haussements d’épaules des croûtons de la critique n’empêcheront pas Soderbergh et son cinéma “amusant” de connaître par la suite un bel avenir. Le réalisateur aurait d’ailleurs écrit le scénario d’une suite à Sexe, mensonges et vidéos pendant le confinement... Une future occasion de faire scandale ?
BARTON FINK
- Date : Festival de Cannes 1991
- Problème : Polanski déteste tout et donne tout aux frères Coen
Polanski lors des délibérations
En 1991, Roman Polanski est président du jury. Barton Fink des frères Coen reçoit la Palme d'or... mais aussi le Prix de la mise en scène et le Prix d'interprétation pour John Turturro, devenant ainsi le premier film triplement couronné à Cannes. Tant pis pour les autres.
Forcément, un palmarès si concentré a soulevé quelques questions. Accusé d'avoir imposé ses goûts au jury et d'avoir mis de côté trop de films, Polanski a répondu sans détour dans Le Monde, en 1991 : "Il y a eu de grandes divergences entre nous, mais le palmarès reflète très exactement un accord sincère et complet. Dès le départ, l'unanimité s'est fait sur un seul point, sur un seul film : Barton Fink."
Le réalisateur balayait tout débat sur les trois prix donnés à un seul film : "Pourquoi aurions-nous dû priver John Turturro de sa récompense, sous prétexte que son talent s'exerce dans un film déjà primé ? L'idée de décerner les prix pour satisfaire le plus de monde possible, je suis contre, totalement. Le Festival de Cannes n'est pas une organisation charitable qui distribue des chaussures. Alors, si on en a déjà donné une paire à celui-là, il faudrait aussi en donner aux autres, même si elles ne sont pas à leur taille ? »
Polanski a ensuite é au lance-flamme le reste de la compétition, pour justifier le triple sacre de Barton Fink : "Je sais que le délégué général Gilles Jacob a fait le meilleur choix possible compte tenu de ce qui était disponible, mais je peux vous dire que les membres du jury et moi-même avons souvent été accablés d'ennui à la vision de films réalisés pour impressionner la critique, visant à donner des leçons de mise en scène et dont le dénominateur commun est une incommensurable prétention."
Quant à l'idée d'un changement des règles pour éviter une telle situation, il déclarait que ce serait "de l'impérialisme" : "Sous le prétexte que le palmarès ne convient pas, on censurerait les personnes responsables chargées de l'établir ? ".
En 2017, le réalisateur en reparlait avec colère au Journal du dimanche : "J'ai été choqué par l'hypocrisie de certains des jurés. Au fil de nos premières réunions, nous étions d'accord pour dire que la sélection n'était pas bonne et les films, extrêmement ennuyeux. Jusqu'à ce que soit projeté Barton Fink, des frères Coen, que nous avons tous trouvé formidable. Pourtant, au premier tour de vote pour la Palme d'or, c'est La Belle Noiseuse, de Jacques Rivette, qui s'est imposé. Quatre heures d'ennui total !"
Il a alors repris les choses en main : "J'ai imposé un nouveau scrutin et Barton Fink l'a emporté. Nous lui avons également attribué les prix de la mise en scène et d'interprétation masculine. Des choix logiques, mais qui ont provoqué un scandale. C'est après ça que le Festival a interdit le cumul… Aujourd'hui, c'est comme à l'école : il faut donner des bonbons à tous les enfants."
Dans tous les cas, le règlement du Festival de Cannes a changé suite à cette édition. L’article 8 précise désormais qu'un "même film ne peut recevoir qu’un seul des prix du Palmarès. Cependant, le Prix du Scénario et le Prix du Jury peuvent être, sur dérogation du Festival, associés à un Prix d’Interprétation".
L'ANGUILLE et LE GOÛT DE LA CERISE
- Date : Festival de Cannes 1997
- Problème : Isabelle Adjani vs Nanni Moretti
En 1997, la Palme d'or est remise ex aequo à deux films : Le goût de la cerise d'Abbas Kiarostami. Logique puisqu'il y avait apparemment deux présidents du jury : Isabelle Adjani (officiellement) et Nanni Moretti (officieusement), qui aurait oeuvré dans l'ombre pour arriver à ses fins.
Il y a plusieurs versions à cette histoire. Gilles Jacob, alors délégué général du Festival de Cannes, a expliqué dans son livre La Vie era comme un rêve sorti en 2009 que Nanni Moretti a joué un rôle crucial dans le palmarès. Dans un article de 2013 aux relents people de bas étage, Télérama allait jusqu'à affirmer qu'Isabelle Adjani s'était plus ou moins mis le jury à dos.
Toujours est-il qu'au fil des débats, L'Anguille semblait parti pour avoir la Palme d'or, mais l'idée d'un prix ex aequo est arrivée sur la table, parce que le cinéaste italien défendait Le Goût de la cerise, et l'actrice française, L'Anguille... et De beaux lendemains d'Atom Egoyan. Gilles Jacob a donné l'autorisation d'une Palme d'or ex aequo, parce qu'il pensait que L'Anguille était loin d'être le meilleur film de Shohei Imamura (qui avait déjà eu une Palme d'or avec La Ballade de Narayama en 1983).
Isabelle Adjani pensait que cette Palme d'or ex aequo permettrait à De beaux lendemains de gagner le prix suprême aux côtés de L'Anguille, mais c'était sans compter sur Nanni Moretti, qui s'est battu pour Le Goût de la cerise. Sachant que Mike Leigh avait lui aussi des avis tranchés, et que Gong Li ne parlait que chinois, les délibérations ont sûrement été magiques.
Dans tous les cas, Isabelle Adjani racontait au Journal du dimanche en 2017 qu'elle en gardait "un très bon souvenir malgré un jury coriace, composé de grands réalisateurs, par essence des dominants, que j'observais se demander parfois pourquoi c'était moi, l'actrice, qui était présidente plutôt que l'un d'entre eux".
Là encore, cette édition amènera à changer les règles. Depuis le début des années 2000, il n'est plus possible de décerner une Palme d'or ex aequo à deux films.
FAHRENHEIT 9/11
- Date : Festival de Cannes 2004
- Problème : Une Palme trop politique, pas assez cinéma (et les Weinstein dans le coup ?)
Après 12 jours de fête, la plupart des festivaliers pensaient qu'Old Boy de Park Chan-wook allait repartir avec la Palme d'or en 2004 et ce d'autant plus avec un jury présidé par Quentin Tarantino. "La Croisette aime à s'entendre dire depuis vendredi que Quentin Tarantino trouverait à Old Boy à peu près toutes les qualités requises pour la récompense suprême : un opus foutraque en provenance du coin le plus tendance de l'Asie (la Corée), adapté d'un manga japonais ultra-culte, rivalisant de couillonneries en tout genre (séquestration, ingestion de raviolis, suicide du dernier étage...), et demandant au spectateur quatre fois plus d'énergie qu'un film habituel", rapportait Libération le 17 mai 2004.
Sauf que finalement, au soir du palmarès, c'est Fahrenheit 9/11 qui remporte la Palme d'or. Ce documentaire de Michael Moore, le premier à gagner la Palme cannoise depuis Le Monde du Silence en 1956, s'attaque férocement à la présidence de George W. Bush, au PATRIOT Act et aux conséquences de la guerre en Irak. Le film avait été ovationné durant sa projection officielle pendant 20 minutes (la deuxième plus longue standing-ovation du festival de Cannes selon les experts), mais la remise de la récompense suprême crée la polémique.
Si certains reprochent simplement au film d'être trop partisan pour mériter un tel prix et de ne pas être un film de cinéma, d'autres voient le mal ailleurs. Une rumeur affirme notamment que Tarantino a fait gagner Fahrenheit 9/11 pour les frères Weinstein. Les deux hommes étaient en effet les distributeurs du film et, comme ils étaient dans le même temps les producteurs du réalisateur de Pulp Fiction, Tarantino aurait alors favorisé le film pour leur faire plaisir.
En vérité, lors de la conférence de presse du jury post-cérémonie (la première de l'histoire du festival), Tarantino avait été très clair sur le choix : "Si le film avait été mauvais, même s'il avait exprimé mes idées politiques, je ne l'aurai pas défendu. Je répète que ma priorité ce n'est pas la politique, mais le cinéma. Quand le propos politique cohabite avec du grand cinéma, voilà !" Lors de cette même récompense, il avait en tout cas expliqué que ce choix final était l'objet d'une vraie consultation démocratique au sein de son jury : "Old Boy aurait très bien pu obtenir la Palme d'or. C'était une course très serrée [...]. Ce n'est pas un deuxième prix. À deux voix près, Old Boy aurait pu gagner".
Une chose est sûre, lors de sa sortie en salles, les avis sur Fahrenheit 9/11 ont été beaucoup plus mitigés, venant alimenter un peu plus la polémique et relancer les différentes rumeurs autour de la Palme.
LE RUBAN BLANC
- Date : Festival de Cannes 2009
- Problème : Un (faux) conflit d'intérêts au milieu des paillettes
En 2009, Michael Haneke n'est plus un habitué du Festival de Cannes, il fait carrément partie des murs. Après trois ages à la Quinzaine des cinéastes en début de carrière (Le Septième continent, Benny's Video et 71 Fragments d'une chronologie du hasard), l'Autrichien truste depuis le tapis rouge avec ses différents films. Deux lui ont même permis de recevoir des récompenses majeures : La Pianiste, Grand Prix du jury en 2001, et Caché, prix de la mise en scène en 2005. Lorsqu'il revient sur la Croisette en 2009, il fait donc partie des favoris, et repart sans trop de surprise avec la Palme d'or.
Toutefois, la récompense (amplement méritée selon une bonne partie de la presse) fait largement polémique à cause d'une rumeur persistante : Isabelle Huppert, la présidente du jury de l'édition 2009, a tout fait pour que Michael Haneke reparte avec la Palme d'or, quitte à se la jouer "gentille tyrannique". Selon certains potins, elle aurait composé elle-même son jury (aux côtés de Gilles Jacob, le directeur du festival) puis serait rentrée en conflit avec plusieurs jurés, dont James Gray (apparemment partisan de couronner Un prophète de Jacques Audiard) et Asia Argento, qu'elle aurait houspillés de "voir les films plutôt que d'aller faire la fête". Ambiance.
Lorsque Le Ruban Blanc a reçu la Palme d'or, beaucoup y ont donc vu une sorte de conflit d'intérêts entre Isabelle Huppert et Michael Haneke. En effet, l'actrice avait remporté le prix d'interprétation féminine cannois en 2001 pour La Pianiste, réalisé par Haneke donc, et avait également joué pour lui dans Le Temps du loup. Voir l'actrice remettre, de ses propres mains, la Palme à l'Autrichien a donc forcément fait parler, surtout après leur longue étreinte. Pourtant, Isabelle Huppert a toujours nié une quelconque forme de favoritisme, comme au Parisien en 2009 : "Non, je n'ai pas été dictatoriale. La Palme d'or a été attribuée à la quasi-unanimité : 7 voix sur 9. C'est assez parlant, non ?"
Elle avait également réfuté les fameuses rumeurs de mésentente avec James Gray, Asia Argento ou qui que ce soit dans son jury : "Franchement, c'est lamentable. Il n'y a eu aucun conflit. La plus grande harmonie a régné au sein de ce jury". Des histoires de conflits qui ont toujours la dent dure, quinze ans plus tard, façonnant un peu plus la légende du festival de Cannes et de ses délibérations secrètes du jury. Cela dit, James Gray a bien remis les pendules à l'heure sur cette fameuse rumeur entre lui et Huppert, avec Chaos Reign en 2017 :
"[...] J'ai adoré avoir Isabelle comme présidente. Les gens sont persuadés que nous nous sommes mal entendus, qu'il y avait deux clans dans le jury, à savoir le sien et le mien. Tout ça, c'est n'importe quoi. J'ai juste eu le malheur de faire de l'ironie dans une interview en disant qu'on avait dû sortir les gants de boxe pour se battre. Personne n'a compris le sens de ma plaisanterie."
Tout est bien qui finit bien donc.
La suite est réservée à nos abonnés. Déjà abonné ? Se connecter
Bonjour, quel est le nom de l’actrice qui se trouve entre John Turturro et Robert De Niro sur la photo principale ? Son visage me parle beaucoup mais je n’arrive pas à me rappeler de son nom. Merci
Article très intéressant où l’on apprend beaucoup de choses. Merci.
Même si j’apprécie Apocalypse Now (et le Tambour aussi hein )la malhonnêteté mise en œuvre pour faire gagner le film possède quelque chose de malsain et je trouve pour le coup Sagan assez courageuse d’avoir tenu bon . Pour ma part je ne m’intéresse pas à un film parce qu’il gagne un prix mais seulement si le résumé ou la b-a attire mon attention . Ainsi, Triangle of Sadness ou Anatomie d’une chute ne font pas partie des métrages en tête de liste des films que je souhaite rattraper . A part ça, contente que vous ayez votre nouveau site tant attendu !
Intéressante rétrospective. Se gourer de Douglas ils ont fait fort haha
L’année où Pialat a remporté sa palme, Barbet Schroeder qui concourait avec Barfly avait prévenu le scénariste, Charles Bukowski, bien avant la cérémonie de clôture : « Cette année les Français veulent récompenser un de leur film » (Source « Hollywood », roman-vérité sur la genèse du film, que je recommande, rien que pour la rencontre avec Godard (qui tournait alors le roi Lear pour la Cannon). Ce film, Barfly donc, méritait mieux (s’il avait pas été produit par les margoulins de la Canon et si y avait pas eu ces petits arrangements mesquins il aurait pu faire mieux lors de ce festival). Tout autre chose Pulp Fiction avait aussi crée des remous, Tarantino avait brandi des doigts, sur scène. Deux majeurs.
En voilà un article intéressant ! Et j’en profite pour dire que le nouveau site est bien sympa !
@zankaze
Ravi de lire ça, et content que l’article vous ait plu !
Je n’ai pas une énorme culture du cinéma et j’ai du coup beaucoup apprécié cet article.
@Franken
Effectivement, tout le monde s’en foutre. Mais merci d’avoir pris le temps de nous faire un retour !
Même si l’article à l’air de er dans l’indifférence générale, ce regard derrière le rideau était vraiment intéressant.