On revient sur Night Skies, la suite abandonnée de Steven Spielberg, et qui a servi de base à un autre de ses chefs-d'oeuvre.
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. D'une certaine façon, cette maxime relative aux sciences peut aussi s'appliquer au cinéma. A Hollywood, il n'est pas rare que des projets stagnent pendant des années, voire des décennies, avant de se remettre sur les rails. D'autres peuvent changer (plusieurs fois) de casting, de réalisateur ou de studio, être freinés par des questions de droits, abandonnés au profit d'un autre scénario ou tellement repensés qu'ils deviennent autre chose. C'est toute la magie et la cruauté de cette industrie qui réfléchit autant en termes de créativité que de rentabilité.
Steven Spielberg connaît d'ailleurs bien ces différents scénarios, puisqu'il les a tous expérimentés. Il y a eu par exemple son remake de West Side Story qu'il a mis des dizaines d'années à concrétiser, ou bien sûr son scénario avorté suradaptation abandonnée de Robopocalypse, le projet de suite de Total Recall qui est devenu Minority Report, ou bien avant ça le cas de Night Skies. Ce film commandé à la fin des années 70 par Columbia Pictures était initialement annoncé comme la suite de Rencontres du troisième type avant de devenir un autre chef-d'oeuvre du réalisateur (si ce n'est le meilleur de tous).
Le début d'une longue aventure
RENCONTREs DU TROISIème type 2
A la fin des années 70, Steven Spielberg avait déjà retourné Hollywood avec Les Dents de la mer (1975), qui a participé à l'avènement du blockbuster américain, et Rencontres du troisième Type (1977), qui a redonné un bel élan aux films de science-fiction. Dans un cas comme dans l'autre, le miracle est né dans le sang et les larmes, au terme d'une production chaotique dont les cinéphiles narrent aujourd'hui encore les nombreuses anecdotes.
Dans le cas de Rencontres du troisième Type, en plus des galères de tournage, la facture a tellement explosé à cause des effets spéciaux qu'elle a mis les comptes de Columbia Pictures dans le rouge, avant de renflouer les caisses du fait de son succès au box-office. Forcément, l'idée de remettre une pièce dans la machine a vite germé. Columbia Pictures a donc demandé à Steven Spielberg de réfléchir à une suite, ce qui n'était pas tellement dans les plans du cinéaste, déjà engagé avec Universal pour réaliser 1941.
S'accrocher, quoi qu'il en coûte
Toutefois, après avoir été tenu à l'écart des Dents de la mer 2, Spielberg n'avait pas envie de perdre à nouveau le contrôle créatif d'une de ses oeuvres. Il a donc trouvé un compromis : écrire un autre film de science-fiction et non une suite directe de Rencontres du troisième Type, et laisser la main à un autre réalisateur pour se concentrer uniquement sur la production.
C'est comme ça qu'il a écrit un premier traitement pour un projet d'horreur et de SF baptisé Night Skies (appelé un temps Watch the Skies, qui était aussi le titre de travail de Rencontres du troisième Type). Ce film devait ainsi servir de contrepoint à l'émerveillement du précédent long-métrage, qui avait davantage été pensé comme un conte de fées avec des extraterrestres.
NIGHT SKIES is the limit
Pendant que Spielberg faisait des recherches pour Rencontres du troisième Type, l'astronome et ufologue américain J. Allen Hynek lui avait parlé d'une affaire saugrenue de 1955, surnommée "la rencontre de Kelly-Hopkinsville". La "rencontre" en question est celle d'une famille de fermiers de la petite ville d'Hopkinsville avec un groupe d'extraterrestres qui d'après eux (évidemment...) ressemblaient à des gobelins d'environ un mètre de haut. En bonus : d'étranges lumières dans le ciel que plusieurs habitants auraient vues, apparemment sobres.
Il n'en fallait pas plus pour que Spielberg imagine une histoire sur un groupe de cinq extraterrestres malveillants qui débarque sur Terre pour étudier les humains. Après avoir tenté de communiquer avec des animaux, le groupe devait se mettre à harceler et terroriser une famille dans une ferme isolée, non sans dégueulasser leurs vitres et massacrer leur bétail.
Pour en faire un scénario digne de ce nom, Spielberg a d'abord pensé à Lawrence Kasdan, mais il était déjà occupé à écrire L'Empire contre-attaque (sacrée période). Il s'est donc tourné vers John Sayles, le scénariste du Piranhas de Joe Dante, une parodie des Dents de la mer commandée et produite par Roger Corman, que Spielberg avait bien aimée.
C'est donc lui qui a travaillé sur les premières versions du scénario de Night Skies, qui malgré quelques touches d'humour par endroits laissait peu de doute quant à l'aspect horrifique recherché. Dans ce scénario, le plus méchant des cinq extraterrestres s'appelait Skar et possédait des yeux de sauterelles et de longs doigts osseux et griffus capables d'éventrer un cheval. Un alien plus gentil baptisé Buddy devait quant à lui se lier d'amitié avec l'enfant autiste de la famille, avant d'être abandonné sur Terre par ses congénères. Si ça commence à vous rappeler un autre film, c'est normal.
Pour la conception des aliens, c'est le spécialiste des effets spéciaux Rick Baker (qui travaillait également à l'époque sur Le Loup-garou américain à Londres de John Landis) qui a été sollicité. Il a ainsi créé un prototype fonctionnel de Skar pour la modique somme de 70 000 dollars. Même si le projet ne s'est jamais fait, plusieurs images de ce modèle ont depuis été partagées, notamment par Baker lui-même sur les réseaux sociaux.
Si ça vous rappelle VRAIMENT un autre film, c'est toujours normal.
These are some of the original "E.T." alien designs created by artist Rick Baker. They are from the time when the movie was originally titled "Night Skies" and it had a much different storyline. pic.twitter.com/adKtUpI1A8
— Joseph Gordon-Levitt (@hitRECordJoe) April 25, 2021
Quant à la réalisation, Spielberg a d'abord approché Tobe Hooper, qui était à ce moment principalement connu pour son Massacre à la tronçonneuse. Toutefois, celui-ci était a priori plus intéressé par l'aspect surnaturel et effrayant du projet que par les extraterrestres en eux-mêmes.
D'après Ron Cobb, qui avait aidé Spielberg sur les premiers storyboards de Night Skies, c'est à lui que Spielberg a ensuite proposé de réaliser le film, comme il l'a déclaré au LA Times en 1988 : "A combien de personnes ça peut arriver ça ? Steven Spielberg veut que je réalise un film. Je n'ai jamais réalisé de film de ma vie, et Steven Spielberg veut que je réalise un film ! J'ai répondu que je savais pas si je pourrais le faire". Steven Spielberg lui aurait simplement répondu de se trouver un agent. Malheureusement pour Ron Cobb, s'il a bien fini par réaliser un long-métrage, ce n'était pas Night Skies, mais Garbo, une comédie oubliée de 1992, car le tournage des Aventuriers de l'arche perdue en 1980 a tout bouleversé.
Nouvelle mission : remplacer un projet par un autre
MORT DE NIGHT SKIES ET Naissance d'E.T
Le tournage des Aventuriers de l'arche perdue a précipité Steven Spielberg dans un tout autre état d'esprit. Dans le livre The Films of Steven Spielberg, l'auteur Neil Sinyard a cité le réalisateur : "J'ai peut-être perdu la raison. Tout au long de [la production] des Aventuriers de l'arche perdue, il s'agissait de tuer des nazis, de faire exploser des ailes volantes [...]. J'étais assis là, au milieu de la Tunisie, à me gratter la tête et à me dire : "Il faut que je retrouve la tranquillité, ou du moins la spiritualité de Rencontres du troisième Type".
De plus, après avoir lu le scénario de Night Skies à Melissa Mathison (qui était là pour voir Harrison Ford, son petit ami de l'époque et futur mari). celle-ci a été particulièrement bouleversée par l'histoire déchirante de Buddy et son amitié avec le petit garçon autiste, ce qui a convaincu Spielberg de se focaliser sur cette partie de l'histoire. Melissa Mathison s'est chargée d'écrire le nouveau scénario, rebaptisé E.T and Me. C'était donc le début du développement d'E.T. l'extra-terrestre.
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Parmi les changements majeurs : l'aspect plus personnel et autobiographique qu'a progressivement pris le projet (qui lui rappelait le divorce de ses parents) a poussé Spielberg à vouloir le réaliser lui-même. Sauf que Marvin Atonowsky, l'ancien directeur marketing de Columbia Pictures, n'était pas très enthousiaste à l'idée de faire un film qui plairait essentiellement aux jeunes enfants. John Veitch, l'ancien président des productions mondiales du studio, a également estimé que le scénario n'était pas assez bon (lol) ou effrayant pour attirer une audience suffisamment large.
Autre frein, et pas des moindres : près d'un million de dollars avaient déjà été dépensés dans la préproduction de Night Skies.
Spielberg a donc signé un accord avec Columbia Pictures, qui prévoyait le remboursement des sommes investies et un pourcentage sur les bénéfices du film, mais aussi de faire atterrir le futur E.T chez Universal. De son côté, Rick Baker a mal pris de voir le projet s'arrêter brusquement, et c'est finalement le tout aussi génial Carlo Rambaldi qui s'est chargé de concevoir le gentil extraterrestre (après avoir créé ceux de Rencontres du troisième Type).
À défaut d'avoir une suite officielle ou officieuse de Rencontres du troisième Type, Columbia Pictures a donné 1,5 million de dollars supplémentaires à Spielberg pour faire son propre montage du film, puisque celui d'origine ne l'avait pas satisfait. Cette version spéciale a été commercialisée en août 1980 aux États-Unis. La suite de l'histoire, tout le monde la connaît.
En plus d'imposer "le style Amblin", E.T est devenu un film culte, si bien qu'il est souvent cité comme le meilleur film du réalisateur. Quant à l'aspect horrifique du scénario de Night Skies, il a plus ou moins servi de point de départ au Poltergeist réalisé par Tobe Hooper. En réalité, la paternité de l'oeuvre est sujette à débat, mais ça, c'est encore une autre (longue) histoire.
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@Geoffrey Crété
Merci du ;)
“” Là, je pense que la question était de préférée « une nouvelle adaptation de WSS » à « un remake de WSS » ”””… c’est en effet ainsi que cela fait sens me concernant.
@grohu
J’ai bien parlé de remake dans le sens « refaire » une oeuvre déjà adaptée. On refait un West Side Story, un The Thing, un Carrie, etc.
Là, je pense que la question était de préférer « une nouvelle adaptation de WSS » à « un remake de WSS » (comme si Spielberg avait fait un remake du film, et pas « refait » sa version de l’oeuvre)
L’usage de remake est plutôt utilisé quand on parle d’une reprise d’un film quand même … Blade runner n’est pas un remake du livre. @Redaction on peut entendre votre point de vu, mais il est quand même plus courant de parler de remake dans le cas d’une reprise d’un film déjà existant, que d’une adaptation d’un autre format
@Eddie Felson
Déborah connaît le sujet, sa critique le montre bien je pense…
https://ecranlarge.telechargervous.com/films/critique/1407848-west-side-story-critique-du-nouveau-chef-doeuvre-de-steven-spielberg
Parler de « remake » est simplement devenu l’usage quand on « refait ». Littéralement « refaire ». D’ailleurs, Déborah a bien écrit « son remake de West Side Story » et pas « son remake du film West Side Story ». Et c’est sans parler de tous les cas où certes on adapte une oeuvre, mais on profite aussi du succès d’une précédente adaptation au cinéma.
@pasenviedepayer
Non!
” Pas de bras pas de chocolats”
“tout travail mérite salaire!”….
Voyons, réfléchissez un peu ! E.T. ne peut pas être le plus grand chef-d’oeuvre de Spielberg, puisque c’est justement Rencontres du troisième type.
@DéborahLechnet
Bonsoir
En aucun cas Spielberg, lorsqu’il sort son magnifique West Side Story, sort un remake!!!
La 1ère adaptation cinématographique de la comédie musicale de Broadway de 1957 du même titre, elle-même inspirée de la pièce de Shakespeare, Roméo et Juliette, est mise en scène par Robert Wise & Jérôme Robbins en 1961.
En conséquence, les films de Wise & Spielberg sont toutes 2 des adaptations cinématographiques de ce Musical et le film de Spielberg n’est donc pas un remake de celui de Wise car celui-ci n’est qu’une adaptation ciné d’un Musical scénique et non l’œuvre originelle. De la même manière, le “Roméo + Juliette” de Baz Lurhman de 1996 n’est pas un remake des “”50”” adaptations cinématographiques de l’œuvre littéraire de William Shakespeare qui l’ont précédés!