Torque, la route s'enflamme, le sous-Fast & Furious le plus méprisé de l'histoire du cinéma motorisé, est en réalité une géniale parodie non seulement de la franchise de Vin Diesel, mais aussi de tout un pan du cinéma populaire des années 2000. Un quiproquo qui a débuté dès la pré-production et qui persiste aujourd'hui.
la route s'enflamme en pour plus de subtilité, est un film d'action sorti en 2004 qui empiète très littéralement sur les plates-bandes de la saga Fast & Furious. Alors longue de deux épisodes, celle-ci faisait des jaloux et Warner voulait sa part du gâteau. Le studio a donc échangé les grosses bagnoles bariolées contre les grosses motos bariolées. Monumental échec critique et financier, Torque est très vite devenu la risée de la presse et du grand public, avant de se hisser en tête des listes de nanar rédigées à l'époque.
Sauf qu'en réalité, Torque est une gigantesque parodie du sous-genre qu'il était censé recopier, voire une opération de sabotage inédite organisée par le réalisateur Joseph Kahn. Récit d'une production délirante qui a tourné à la mutinerie et a accouché de la comédie malade la plus excentrique du cinéma américain des années 2000.
Copie carbone
Au tout début des années 2000, le producteur Neal H. Moritz s'allie avec le réalisateur Rob Cohen pour concevoir un film d'action sous la bannière d'Universal. Fast & Furious sort en 2001 et braque le box-office : avec un budget de 38 millions de dollars, il en empoche plus de 200. Il perfectionne également une recette : une intrigue de polar simplifiée, un casting multiethnique (conséquence d'une réécriture de David Ayer), des courses poursuites motorisées et évidemment l'imaginaire de la course de rue et du tunning, sur le point d'infiltrer à peu près tous les médiums. Une suite sort en 2003 et dée la barre des 250 millions.
Plusieurs studios décident de prendre l'aspiration et d'investir dans les marcels blancs. Quand Village Roadshow et Warner (alors encore auréolé du carton de Matrix), entrent dans la course, ils décident d'assumer l'héritage de MTV et d'engager l'un des réalisateurs de clip les plus réputés de son temps, Joseph Khan. Le jeune artiste a collaboré avec Eminem, Taylor Swift, Public Enemy, Korn, Mobb Deep, Elton John, Janet Jackson, le Wu-Tang Clan, Sum 41 et bien entendu Ice Cube. Il a mis en scène les vidéos de Bad Blood, Without Me et Toxic. Qu'est-ce qui pourrait mal se er ?
"Ils pensaient qu'ils se trouvaient un mec issu du hip-hop, ils pensaient que je venais de la rue, mais je suis plus un mec sarcastique et satirique", se remémorera-t-il, amusé, au micro de Fun With Dumb. Il accepte tout de même après un premier refus (et le désistement d'un autre réalisateur) : "J'ai pitché mon idée. J'ai dit que j'allais faire une version très marrante d'un film Fast & Furious. [...] Ils me disent de faire ce putain de film de tunning. Et je me dis : cool, je déteste ce tunning de merde, je trouve cette culture complètement con".
C'est le gros ver dans un fruit pimpé aux néons : Khan, fort de son expérience dans le clip, est engagé malgré son aversion pour la mythologie développée par la saga d'Universal. ionné par Andy Wharol, motivé par l'arrogance de sa jeunesse selon ses propres termes (il a 28 ans), il se dit qu'il va parvenir à complètement se la réapproprier, pour ne pas dire la saloper. À tel point que même les aventures spatiales des potes de Vin Diesel ne pourront pas rivaliser avec son approche.
Highway to hell
Ce n'est pas faute d'avoir révélé ses intentions : Khan joue cartes sur table auprès de Lorenzo Di Bonaventura, alors le responsable de la production de Warner. Celui-ci ne voit aucun inconvénient à insuffler un peu d'humour dans la recette copiée-collée des Fast & Furious. Problème : il est viré une semaine avant le début du tournage. "La nouvelle équipe voulait faire quelque chose de radicalement différent de mon approche. J'étais baisé", se rappellera le réalisateur dans le podcast Spot Cast.
"J'aurais probablement dû démissionner, mais je ne pouvais pas [...]. J'aurais été le réalisateur hollywoodien qui laisse tomber les films, ce qui est en fait pire qu'être le mec qui a fini le film. Ce n’est pas bon du tout : démissionner, ça vous met sur liste noire. À ce moment, il était juste question de survivre à l'expérience et de garder autant de contrôle que possible."
Il faut dire qu'il a déjà été viré d'un film avec Chris Tucker quelques années auparavant et qu'il ne tient pas à se griller définitivement.
Tenter de si-mulet Fast & Furious
Il s'accroche donc à ses ambitions, à savoir réaliser un film d'action complètement surréel, influencé par l'animation japonaise et se réappropriant les codes des productions Bruckheimer pour mieux les réinjecter "sous crack". Les 72 jours de tournages se ent très mal. Il résume très simplement à The Hollywood Reporter : "Ils voulaient faire un film A, je voulais faire un film B et c'était la recette du désastre". Il est contraint de réécrire des morceaux de scénario à même le plateau.
La sortie du film est plus chaotique encore. En 2003, la concurrence directe de DreamWorks parvient à prendre Warner de vitesse en calant Biker Boyz avec Laurence Fishburne quelques semaines avant la sortie présumée. C'est l'exact même concept. En panique, les exécutifs retirent le film de son créneau en attendant une meilleure fenêtre. Seulement, il leur faut esquiver le nouveau volet de la franchise Fast & Furious, pour des raisons évidentes, ainsi que leurs deux énormes tentpoles à venir, Matrix Reloaded (lequel comporte une longue poursuite à moto) et Revolution. Par élimination, il sort en janvier 2004, s'attirant la méfiance de la presse et d'internet, en embuscade.
Allumé par la critique, le film devient instantanément la risée du grand public, qui tourne en dérision ses fautes de goût volontaires. Le box-office en prend un coup : Torque avait un budget de 40 millions de dollars. Il n'en rapportera que 46,5 dans le monde. Un carnage qui tiendra le cinéaste éloigné d'Hollywood pendant un bout de temps :
"Je pense que les gens avaient beaucoup d'animosité envers Michael Bay. À l'époque, il y avait beaucoup de réalisateurs de clip qui émergeaient. Ils ont vu que j'étais un réalisateur pop qui faisait un film d'action, ils se sont dit que j'étais Michael Bay 2. Je pense qu'internet voulait tuer Michael Bay et il ne pouvait pas l'atteindre, mais il pouvait atteindre celui qu'ils considéraient comme sa progéniture. Ils ont attaqué ce film, ils m'ont attaqué et franchement ils ont gagné. Parce que ça a tué ma carrière pour à peu près 8 ans". Un triste résumé.
Fat and furious
Ses nombreux détracteurs fustigent ses fautes de goût, son look MTV sur-saturé, ses dérapages... parfois sans se rendre compte qu'il s'agit justement d'une parodie. Plutôt que de les imiter, Torque adresse un gigantesque doigt d'honneur aux codes de la saga Fast & Furious et ce dès l'ouverture, reshootée, où le héros met en déroute deux bagnoles tout droit échappées de Tokyo Drift, faisant tournoyer au age un panneau indiquant "cars sucks" ("Les voitures, ça pue"). D'entrée de jeu, Khan s'amuse de la position délicate dans laquelle il se trouve : forcé de réaliser un long-métrage puéril, il va se payer la tête de son producteur Neal H. Moritz, directement dépêché de la saga de Vin Diesel.
Tous ses clichés sont poussés dans des retranchements absurdes, à commencer par son manichéisme crétin : le héros est un beau-gosse blond filmé comme un mannequin Quicksilver, dont la tenue arbore subtilement l'expression Carpe Diem. Un gag en avance sur son temps, quand on sait à quel niveau de déification en est rendue la franchise Universal désormais.
Le sexisme caractéristique du sous-genre y est bien entendu présent : lorsque le héros débarque chez les bikers, une pluie de plans redéfinissant le concept de male-gaze inonde l'écran. Les femmes sont à deux pistons de copuler avec les machines fluo, pour le plus grand plaisir des promoteurs, qui ont ici trouvé de quoi garnir les bandes-annonces épileptiques.
Torque est de toute évidence un pastiche, d'autant plus jouissif qu'il bénéficie du savoir-faire indéniable de Khan (très inspiré par l'animation japonaise donc, des années avant Speed Racer), de cascades véritablement spectaculaires et d'un Ice Cube cabotin. Et il est si limpide sur ses intentions qu'il est presque difficile à croire que personne n'ait ri de bon coeur avec lui. Surtout quand il dée volontairement la ligne blanche. L'un des personnages cite texto Vin Diesel ("I live my life one quarter mile at a time"), ce à quoi son interlocutrice lui répond : "C'est le truc le plus con que j'ai jamais entendu". Et bim.
POURQUOI J'AI RAISON ET VOUS AVEZ TORQUE
Bien que beaucoup de critiques aient relevé l'approche décérébrée de Khan, le film reste connu pour ses fautes de goût. Une séquence en particulier fut très commentée à l'époque et reste un motif de moquerie récurrent : le duel à moto, où les protagonistes et antagonistes féminins s'affrontent devant de gigantesques panneaux publicitaires. Le réalisateur reste sidéré à ce jour que les spectateurs n'y aient vu qu'un gigantesque placement de produit, et non pas une satire bien bourrine de l'étalage publicitaire au cinéma, inspirée une fois de plus par Andy Wharol. À l'origine, il avait même démarché Coca-Cola pour apparaitre en face de Pepsi, sans succès (sans blague).
Le cinéaste, frustré de devoir se battre avec la production, fait preuve d'une insolence adolescente qui finit par humilier non seulement les Fast & Furious, mais aussi le cinéma populaire des années 2000 et ses effets de style, hérités de Matrix et MTV. La mise en scène est un décalque hilarant du style Bay, enchainant les travellings circulaires en contre-plongée de plus en plus bas, jusqu'à carrément er sous le sol, au cours d'une course poursuite ferroviaire complètement surréaliste.
Plus malin encore, il s'attaque directement aux sous-Matrix que Warner a accidentellement lâché à Hollywood. Plus précisément à leur utilisation des effets spéciaux numériques, alors en train de défigurer l'industrie, dans un climax supersonique où le héros s'empare de la moto la plus rapide du monde... et transforme ledit monde en purée numérique. Visionnaire, quelques mois avant la sortie de Matrix Reloaded...
Depuis, le film a gagné un statut culte chez une niche de spectateurs, y compris en , mais il reste aux yeux du grand public un indécrottable nanar. Pourtant, le revoir aujourd'hui décuple sa puissance comique. Le réalisateur, lui, a appris de cet échec cuisant et a financé son long-métrage suivant en majeure partie avec ses propres économies. Banni d'Hollywood, il est allé au bout de ses idées avec son génial teen movie hyperactif Detention. Il a ensuite mis en scène l'excellent Bodied, traitant des problèmes d'appropriation culturelle et de gentrification : Torque se prend des balles perdues dans les deux films.
Finalement, il aura surtout démontré que malgré tous les signaux possibles et imaginables, la perception d'un film populaire tiendra toujours d'abord à son contexte de production et à son marketing. Vendu comme un sous-Fast & Furious, il s'agissait plutôt d'un sur-Fast & Furious.
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Encore un récit de production ionnant qui m’étonne de moins en moins. Bon pour moi le film a toujours été un nanar qui s’assume. Cependant j’ ai également vu détention du même Real et de la photographie à la narration je trouve que rien ne va dans ce film hideux. Et pour le coup y a pas l’excuse du studio. Excellent article cependant.
ça commence à devenir grave qu’en 2024 « nous » réévaluons les purges d’il y a 20 ans. Vivement 2044 quand nous parlerons avec émotion, la gorge nouée, la larme à l’oeil de The Flash, Rebel Moon ou Malignant.
une parodie que personne ne comprend, est ce une bonne parodie?
Le réalisateur a assumé faire un nanar pas le studio.
Un film fantastique, un nanar comme on en voit peu. Des scènes irréalistes jamais vu et qui se comptent à la pelle en plus des dialogues incroyables.
Pour faire suite aux messages précédents, je vous invite à regarder sur YouTube la vidéo de Re-vu .
Je peux pas m’empêcher d’en rajouter une couche : Hilarant et total WTF (chroniqué sur Nanarland)
Si vous voulez vous tapez une barre, regardez sur youtube la vidéo « T’as déjà vu Torque ? » du youtubeur Notseriou’s qui résume de façon humoristique le film. Il fait d’autres vidéos excellentes et je vous recommande d’aller les voirs car ce sont des pépites.
Voilà.
À l’époque, j’avais conscience du bordel que je venais de voir, autant cela m’hypnotisait complètement. Alors oui, c’est un nanar, mais ce qu’il est bon.
Un chouette film bien foutraque à voir avec de la bière et des pizzas.
Un vrai nanar. A l’époque je l’avais même vu au ciné.
Ce film est un accident industriel de toute beauté ^^