Les Quatre Fantastiques : cette grande arnaque du cinéma de super-héros que vous n’avez jamais vue

Avant leur introduction formelle au cinéma, Les Quatre Fantastiques auraient dû y faire leurs débuts en 1994 dans un étrange film produit par la légende Roger Corman… qui n'a jamais vu le jour.

Si on vous parle du dernier film de super-héros sorti au cinéma aujourd’hui, il y a de grandes chances que vous soupiriez de désespoir. Et, très franchement, on aurait tendance à vous donner raison. Car si les hommes et femmes en collants paraissent avoir vécu un formidable âge d’or au tournant des années 2010, l’après-Covid ressemble pour le moment à un long chemin de croix, même pour le tout-puissant MCU. 

Pourtant, on est pour le moment loin de ce que le genre a connu dans les années 90, principalement du côté de Marvel. Mauvais films, difficultés financières et grande braderie des droits des personnages, la firme vivait des heures sombres. Au milieu de ce marasme, la première adaptation cinématographique des Quatre Fantastiques fut écrite, réalisée, et montée… avant d’être mystérieusement jetée aux oubliettes. Retour sur la plus grande arnaque de l’histoire de Marvel… et peut-être même d’Hollywood.

 

 

Genèse d’un projet improbable

Faisons un saut dans le temps, à l’aube des années 1990. Pas de MCU à l’horizon, et même pas l’ombre d’un Spider-Man, d’un Batman Begins ou d’un X-Men. Le super-héros au cinéma est représenté par DC, avec les Superman de Donner et les Batman de Burton. Son grand rival, Marvel, est de son côté au bord du gouffre, alors que l’industrie des comics traverse un énième krach financier. 

Pour sauver sa peau, Marvel a vendu presque tous les droits d’adaptation de ses personnages au premier venu, ce qui donne lieu à une flopée de films ratés et fauchés. On pourra citer l’étrange Howard The Duck en 1986, le Punisher de 1989 avec Dolph Lundgren (oui), ou encore le bizarroïde Captain America coproduit en ex-Yougoslavie (oui oui). La maison des idées est à vendre, et il n’en faut pas beaucoup pour la convaincre.

 

C'est la merde chez Marvel

 

Bernd Eichinger, producteur allemand à la tête de la société Constantin Film, récupère ainsi une option sur les droits des 4 Fantastiques en 1986. Le prix n’est pas connu, mais certaines rumeurs évoquent une somme de seulement 250 000 dollars, soit une bouchée de pain (à titre de comparaison, Sony paiera 7 millions de dollars pour récupérer Spider-Man en 1999). Eichinger, grand ionné de comics, est déterminé à sortir un blockbuster à gros budget. Mais le temps e, et aucun gros studio ne se presse pour l’aider à concrétiser le projet. 

Le problème, c’est que l’option expire à la fin de l’année 1992. Et Marvel, qui comprend soudainement que les droits de ses super-héros peuvent se vendre pour beaucoup plus d’argent, refuse de la prolonger. L’unique solution : faire sortir de terre un film. Si l'astuce est connue, Eichinger va alors prendre une décision inattendue : monter une série B complètement assumée, au budget minuscule, produite dans l’unique but de conserver dans son escarcelle ses Fantastiques adorés.

Encore mieux, il e immédiatement la légende Roger Corman, spécialiste des films de SF fauchés, pour porter le projet. L'opération est chiffrée à 1 million de dollars. Le début du tournage est prévu pour le 26 décembre 1992, cinq jours avant l’expiration des droits. Il débutera le 28.

 

Roger Corman prépare alors activement Carnosaur, ersatz de Jurassic Park

 

Avant le drame, la fantastique série B

Avec un budget de production aussi faible, Eichinger et Corman doivent se montrer malins. Le tournage ne dure qu’une vingtaine de jours, dans un entrepôt déclaré insalubre où Corman a l’habitude de produire ses créations (une chatte nommée Lucy est carrément recrutée pour éliminer les rats !). La réalisation est confiée à un parfait inconnu, Oley Sassone. Le court processus de casting (qui voit er un certain Mark Ruffalo) aboutit au recrutement d’acteurs peu connus, persuadés que le premier rôle dans un film Marvel peut lancer leur carrière. 

Sur le tournage, Les Quatre Fantastiques va se trouver une âme dans son bricolage, et l’équipe entière témoigne d’un enthousiasme débordant. Avec les moyens du bord, l’objectif reste de faire un long-métrage parfaitement fidèle aux comics, avec pour inspiration principale les premières sorties de l’équipe sur papier, sous la plume de Stan Lee et Jack Kirby. Le film fait intervenir plusieurs figures emblématiques, avec évidemment Doctor Doom, mais également Alicia Masters et l’Homme-Taupe, dans un scénario très ambitieux (même beaucoup trop d'ailleurs).

 

Les 4 Fantastoc

 

Les costumes ressemblent à des pyjamas mal cousus et les effets spéciaux oscillent entre tentatives amusantes et déferlement de CGI complètement hallucinatoires. Mais tout ce petit monde y croit, conscient des moyens ridicules de leur production, mais désireux de faire le meilleur film possible dans ces conditions. Reve Richards (manifestement prédestiné par son nom à travailler sur ce film), créateur des costumes, va jusqu’à concevoir un masque entièrement articulé pour la Chose, permettant à l’acteur Carl Ciarfalio de faire er des émotions à travers son encombrante combinaison en caoutchouc.

Cette drôle d’ambition rend Les Quatre Fantastiques assez étonnant au visionnage. À la fois risible et merveilleusement cheap, le film se démarque par une bande originale assez jubilatoire (composée par deux frères, David et Eric Wurst, qui ont eux-mêmes payé pour enregistrer avec un orchestre). Les acteurs s’en sortent également avec les honneurs, avec une mention spéciale pour Joseph Culp, qui semble avoir directement tiré son Doctor Doom des pages d’un comics des années 60. Le projet était destiné à devenir ce petit classique de niche, complètement unique dans l’histoire moderne des super-héros au cinéma. C’était sans compter sur un cruel coup du destin (et une affaire de gros sous). 

 

Et si c'était la meilleure adaptation de Doctor Doom au cinéma ?

 

Les 4 Fantastiques de l’Apocalypse

Dans le super documentaire Doomed!: The Untold Story of Roger Corman's The Fantastic Four (disponible sur Youtube pour les curieux), toute l’équipe du film affirme ne jamais avoir été au courant de l’histoire des droits d’adaptation, mais a vite compris que quelque chose n’allait pas. Alors que le tournage s’achève fin janvier 1993, la postproduction avance au ralenti. Glenn Garland, chargé du montage du film, racontera même avoir dû avancer sur le film en cachette la nuit, alors qu’il était engagé sur un autre projet.

Les acteurs engagent à leurs frais un agent publicitaire pour assurer la promotion. Et, contre toute attente, le film génère un certain enthousiasme de la part des fans, curieux de voir enfin les légendaires 4 Fantastiques sur un écran de cinéma. Roger Corman promet une distribution dans près de 500 salles, ce qui est plutôt imposant pour un film de ce calibre. La première mondiale est annoncée pour janvier 1994, soit un an après le début de la production. Mais tout va brusquement s’arrêter.

 

Avec une superbe affiche

 

Oley Sassone, le réalisateur, reçoit un appel de Bernd Eichinger lui annonçant que le long-métrage a été racheté par Marvel, et ne sortira jamais, pas même en vidéo. Stan Lee, qui avait affirmé en 1993 ne « pas penser grand-chose » du film (alors qu’il est venu plusieurs fois sur le tournage, et a même “ramené les donuts” selon un acteur), affirme en 2005 que le film n'a jamais été destiné à sortir, mais Eichinger réfute cette version. Le couperet serait ainsi venu de plus haut, d’un ambitieux exécutif de Marvel, Avi Arad. Un nom désormais bien connu, puisqu’il a produit par la suite les films Spider-Man de Sony et la plupart des Marvel pré-MCU.  

Selon Eichinger, Arad l’a appelé en 1993 pour lui racheter les droits du film, inquiet de le voir abîmer durablement la franchise, une version confirmée par Arad lui-même, en pleine promotion de Spider-Man en 2002. Eichinger et Corman récupèrent donc leur mise initiale, plus une poignée de dollars de plus. Un an plus tard, en 1995, Constantin Film s’associe à la Fox pour officiellement lancer une nouvelle adaptation, avec cette fois-ci un budget conséquent.

 

Les 4 Fantastiques, version 2005

 

Il faudra attendre 2005 pour voir le projet débarquer au cinéma, devenu officiellement la première vraie adaptation des 4 Fantastiques sur grand écran. Ce serait oublier les précurseurs malheureux de 1994, oubliés par l’histoire. Les copies furent reprises en vitesse par Marvel, mais quelques-unes sont parvenues à faire leur chemin en convention. Le film est aujourd’hui disponible sur Youtube, mais n’a jamais eu le droit à une sortie officielle sur un quelconque .

De ce fiasco, on aimerait retenir le petit coup de génie de Bernd Eichinger, auteur d’un remarquable et rarissime tour de e-e. On aimerait retenir la ion délirante de l’équipe du film et ses belles idées pour contourner les restrictions. On aimerait retenir la belle histoire de ce projet improbable, mais on ne retiendra qu’une gigantesque arnaque. Et on aimerait bien conclure en vous disant qu’Hollywood a retenu la leçon. Ce serait oublier le sort funeste d’un autre film de super-héros, Batgirl, entièrement tourné et annulé pour une cynique manœuvre fiscale par Warner Bros en août 2022.