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L’Aile ou la Cuisse : comment le génie Louis de Funès a é le flambeau comique à Coluche

Par Ange Beuque
26 décembre 2023
MAJ : 29 décembre 2023

Louis de Funès le miraculé et Coluche s’allient contre la malbouffe dans L’aile ou la cuisse de Claude Zidi,le digestif parfait entre deux festins de Noël.

L'Aile ou la Cuisse : Une De Funès résurrection Coluche age de flambeau

Après les excès de table de rigueur en cette période de l'année, le plus sage reste d'orchestrer une digestion stratégique sur le canapé. C'est l'occasion rêvée de re(re)voir Coluche rafraîchissant.

La gastronomie mène à tout, pas seulement aux ballonnements post-festin. Un soir où il dînait au Petit Colombier, Claude Zidi commande un poulet. Le serveur lui demande : "l'aile ou la cuisse ?". Le réalisateur attitré des Charlots, spécialiste du comique populaire français des années 70, était justement en quête d'un sujet : le titre de son prochain film est trouvé.

Entre les repas de famille propices aux embrouilles et l'actualité morose, on n'a jamais trop d'occasions d'aviver notre sentiment d'appartenance. Quel thème plus rassembleur que la gastronomie, obsession nationale s'il en est ? Mais la tâche n'est pas simple pour Zidi, qui doit réussir l'émulsion d'un Louis de Funès revenu des morts et d'un Coluche susceptible de lui faire de l'ombre.

 

L'Aile ou la Cuisse : Louis De FunèsHeureusement qu'ils n'ont pas commandé un couscous

 

Quand de Funès est plus sobre que vous

Reverra-t-on un jour le génie comique à l'affiche ? Telle est la question qui devait tarauder les spectateurs dans la seconde moitié des années 70. Ouverte sur Jo, La Folie des grandeurs et Les Aventures de Rabbi Jacob, la décennie semblait pourtant destinée à prolonger le règne de Louis de Funès, dont tant de films figurent parmi les classiques absolus du cinéma français (La Grande vadrouille, Le Corniaud...).

Mais en 1975, la ligne de vie du trublion se fait pointillée. Terrassé par un double infarctus, l'acteur est mis au repos forcé alors que le tournage du Crocodile de Gérard Oury allait débuter. Pire : les médecins lui ordonnent de mettre fin à son métier, dont les journées à rallonge, le stress et l'épuisement sont devenus incompatibles avec son état de santé.

 

L'Aile ou la Cuisse : Coluche, Louis De FunèsLes Restos du Coeur fragile

 

Paradoxalement, ce coup d'arrêt est bénéfique à de Funès, consumé par l'angoisse de porter sur son nom des productions faramineuses. Puis le virus du jeu le reprend à mesure qu'il récupère quelques forces. Le théâtre est jugé trop épuisant, Le Crocodile a sombré dans les limbes suite à sa défection : il lui faut un nouveau projet.

Ça tombe bien : Christian Fechner, jeune producteur qui a triomphé avec Les Bidasses en folie de Claude Zidi, est un fan absolu du comédien et tient à le ramener à l'écran. Échaudées par son état de santé plus que précaire, les assurances renâclent à le couvrir. Tenace, Fechner ferraille jusqu'à décrocher un contrat de onze semaines. Le tournage en comptera sept de plus : qu'à cela ne tienne, le producteur en assume le risque financier. Une unité de secours est mobilisée en permanence à proximité du plateau pour parer à toute éventualité.

 

L'Aile ou la Cuisse : Louis De Funès, Vittorio CaprioliL'agueusie, la rediffusion idéale du confinement

 

À l'écran, Louis de Funès livre une composition plus apaisée. Physiquement marqué par ses attaques et le régime draconien qui s'ensuivit, l'acteur se réinvente : "Cette brutalité, cette colère est un produit que j'avais fabriqué pour un rôle et tous les metteurs en scène m'ont demandé ce produit […] Désormais, ce comique ne m'intéresse plus".

En dépit de la présence de Claude Gensac, son traditionnel exhausteur de goût, de Funès se tient loin des excès qui l'ont rendu, pour certains, crispant, et pour tant d'autres, hilarant. Un rebondissement le laisse même incapable de s'énerver : c'est à croire que les scénaristes l'ont implémenté au moment où l'assurance de l'acteur expirait. Reste que de Funès est de retour à l'affiche, ce qui était loin d'être gagné. On ne peut d'ailleurs s'empêcher de penser que le "merci" ému qui fait office d'ultime réplique possède plusieurs niveaux de lecture.

 

L'Aile ou la Cuisse : Louis De Funès, Coluche Allégé ou moins lourd qu'à l'accoutumée ?

 

L'émulsion du vin rouge et des pétards

Le gag d'ouverture de L'Aile ou la Cuisse semble encapsuler le retrait de sa médiatique tête d'affiche. Incarnant le fondateur du légendaire guide culinaire Duchemin (toute ressemblance...), Louis de Funès s'infiltre grimé dans un restaurant. Sauf que les serveurs le snobent complètement, n'ayant d'yeux que pour un autre agent. Le centre de gravité a changé, lui permettant de « faire le job » en sous-marin.

Fechner a toujours eu en tête de partager l'affiche en le confrontant à la "génération d'après". Avant même l'infarctus de Louis de Funès, il était question de le faire kidnapper par les Charlots dans Merci Patron, sous la direction de Jean Girault et avec des dialogues signés Michel Audiard.

Le projet est tombé à l'eau en raison des emplois du temps des uns et des autres, mais aussi pour une probable incompatibilité d'univers. Comme le résuma l'attaché de presse des Charlots, Audiard était de la "génération vin rouge", ses poulains de la "génération pétard".

 

L'Aile ou la Cuisse : Louis De Funès, Raymond BussièresAu pays du Soleil Vert levant

 

L'Aile ou la Cuisse reprend ce concept d'opposition. D'ailleurs, dans la première version du scénario, le fils forcé de prendre la place de son père en adoptait malgré lui certains traits de caractère : il devenait plus vif, plus ombrageux au fil du long-métrage, renforçant l'idée du age de témoin.

Un talent montant était donc requis, une figure en vogue susceptible de diluer d'autant la pression de la réussite ou non du film. Pierre Richard est longuement pressenti, mais l'acteur décline un mois avant le tournage. En dépit de la perspective d'un cachet très généreux et de son envie de collaborer avec de Funès, le grand blond ne "sent" pas le rôle.

 

L'Aile ou la Cuisse : Louis De FunèsBeaujolais nouveau > Coca, c'est aussi ignoble, mais c'est AOP

 

Tant pis pour Pierre Richard : qu'importe la qualité intrinsèque de l'aliment, la valeur d'une recette ne tient qu'à l'accord de tous ses composants. Si Bernard Ménez (Le Chaud Lapin) est envisagé pour lui succéder, Claude Zidi pousse finalement le nom de Coluche, alors en pleine ascension.

L'humoriste ne lui est pas inconnu puisqu'il l'a dirigé trois ans plus tôt pour un petit rôle dans Le Grand bazar. Il embarque dans son sillage d'autres visages comme autant de promesses d'avenir : Martin Lamotte, Marie-Anne Chazel, Gérard Lanvin y font l'une de leurs premières apparitions. Futur auteur de 37°2 le matin, Jean-Jacques Beineix se fait quant à lui la main en tant qu'assistant-réalisateur.

 

L'Aile ou la Cuisse : Coluche, Louis De Funès Quand Parcoursup se rate

 

Coluche, la touche de fraîcheur

C'est ainsi que Coluche endosse le costume de "successeur malgré lui" de Louis de Funès, symbolisant le changement de génération comique à l'oeuvre. Mais la greffe peut-elle réussir ? Son humour acide, parfois vulgaire, divise.

Gaumont, qui s'était positionné pour la distribution, ne croit pas à son potentiel après avoir essuyé l'échec artistique et financier de Les vécés étaient fermés de l'intérieur, dans lequel il apparaissait. "Coluche ne marche pas au cinéma et ne marchera jamais au cinéma", assure son directeur Daniel Toscan du Plantier. Mais alors que Gaumont se retire, Pathé prend sa place, convaincu que Coluche peut assurer la relève.

 

L'Aile ou la Cuisse : Coluche, Louis De FunèsPain sans épice

 

Le propos même du film semble retranscrire ce tiraillement entre anciens et modernes. L'Aile ou la Cuisse célèbre la gastronomie traditionnelle et ses kinks à base de poularde de Bresse et homards de Roscoff. Ce savoir-faire artisanal est menacé par Tricatel et ses promesses séduisantes. Sauf que sa populaire nourriture pour tous relève de la malbouffe, un concept si infamant en notre pays que son néologisme viole les préceptes de sa langue (oui, on devrait dire "la mauvaisebouffe").

Cet industriel cupide est inspiré de Borel, précurseur de la restauration rapide qui a ouvert le premier restoroute. Son opposition avec les défenseurs du pseudo guide Michelin est sensée, celui-ci ayant dans son ADN d'orienter la "gastronomie du voyageur". De Funès semble incarner la vieille en résistance contre les dérives capitalistes, l'accélération des modes de vie et les voies de facilité.

 

L'Aile ou la Cuisse : Louis De FunèsDe La Grande Vadrouille à La Grande Bouffe

 

Mais le scénario préserve Coluche de cette défiance, ses aspirations artistiques et son désir d'affranchissement étant traités sans condescendance. L'honneur est sauf : en coulisse, la collaboration entre les deux acteurs s'est révélée très respectueuse, et à l'écran, le fils assume finalement une partie de ses obligations familiales tandis que son père semble prêt à le laisser voler de ses propres ailes.

Lorsque le film sort en 1976, c'est un immense succès : il ne sera détrôné cette année-là que par Les Dents de la mer, fameuse histoire d'en-cas elle aussi, ironiquement produite par une nation qui deviendrait rapidement l'emblème de la malbouffe.

 

L'Aile ou la Cuisse : Julien GuiomarLe théâtre de Bou(le)vard

 

Au total, six millions de spectateurs français acclament à la fois le retour de la star et l'avènement de la relève. Fechner aura d'ailleurs le temps de reproduire l'équation avec La Soupe aux choux, :son opposition entre l'acteur vieillissant et le jeune Jacques Villeret... et son titre culinaire. Mais le destin est taquin : alors que l'état de santé de Louis de Funès polarise l'attention, Coluche ne survivra que trois ans à son partenaire, victime d'un accident de moto.

S'il peut sembler contre-intuitif d'encaisser les excès alimentaires devant L'Aile ou la Cuisse, rappelons à toutes fins utiles qu'au pays de Pasteur, on soigne le mal par le mal. Et même si son fumet désuet échouait à apaiser la crise de foi, sa charge contre la malbouffe permettra toujours de prétendre à qui veut l'entendre que, si on s'est explosé le bide à table, c'était dans le noble but d'honorer la grande tradition gastronomique française.

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De Funes et sa Biche forever
De Funes et sa Biche forever
il y a 1 année

De Funes voulait faire une sorte de film muet( sans parole mais avec les bruitages sons d’un film » traditionnel ) avec Coluche,Coluche l’a dit face Camera

Rorov94m
Rorov94m
il y a 1 année

Le tournage du génial L’AILE OU LA CUISSE mérite un film à lui tout seul;
De Funès fatigué, malade,doutant sur la suite de sa carrière… paradoxalement reprenant goût à la vie avec Macha Béranger et irant au fur et a mesure le génie comique de Coluche, découvrant un vrai pro, talentueux et respectueux sur le set.
Et Coluche, luttant contre ses démons, subissant des pressions de toutes part mais heureux et fier de tourner avec celui qu’il ire au détriment des gauchos qui l’entourent.
Avec une fin feel good (non romancée une fois n’étant pas coutume): le succès du film, l’adoubement de Coluche par de Funès qui finira par mettre le nom de l »‘enfoiré »préféré des français à côté du siens sur les affiches du film (à une époque où cela est très lourd de sens et a un réel impact).
Je vous bien un fondu au noir suivi de Coluche vaquant à ses occupations apprenant la mort de ce génie, donnant lieu à une scène magnifique d’émotion et de sensibilité, cassant la rythmique et la drôlerie de ce film qui n’existe pas encore.
François Demaison était excellent, qui pour jouer Monsieur De Funès…bon courage au producteurs.

ThisisSparta
ThisisSparta
il y a 1 année

Dans le top 3 de ses meilleurs films, exceptionnel Louis de Funès en critique roublarde.

Ethan
Ethan
il y a 1 année

Le gendarmes et les gendarmettes tu as un très bon film sans doute le meilleur avec les extraterrestres et le gendarme en balade
Certes ne plaît pas aux associations féministes en tout cas les enfants garçon ou fille adorent

BATMALIEN
BATMALIEN
il y a 1 année

Le duo des boss du rire qui défendent la gastronomie contre la malbouffe qui donne la gastro.

« Marguerite! »

Brosdabid
Brosdabid
il y a 1 année

J aimais De Funes en monsieur 100 mill volts, là malgré un début simpa, le film ne peut pas reposer sur lui et c’est dommage, pour Coluche qui fait du Coluche, c’est pas ma came
En tant que acteur, même Tchao Pantin, ça e pas

Faurefrc
Faurefrc
il y a 1 année

Clairement pas le meilleur De Funès (La Grande Vadrouille et la Folie des Grandeurs sont assez indéables), pas le meilleur Coluche (génie comique qui a eu un seul bon rôle au ciné et dans un registre dramatique en plus, Tchao Pantin), ni même le meilleur Zidi (les Ripoux, mais que le 1 😉

le Gendarme et SA Biche forever
le Gendarme et SA Biche forever
il y a 1 année

le tournage du film tres mauvais le gendarme et les gendarmettes a été tres sinistre, entre la mort du réalisateur sur le tournage et Louis tres diminué en en etat terminal, …il apparait tres peu à l’ecran..
j’ai vu le film avec Coluche quand j’avais 10, 12 ans milieu annees 80, cétait assez sympa, mais ils l’ont rediffusé l’an é, j’ai regardé 15 min max, et c’etait tres mauvais, tres daté, même Coluche joue mal, il a l’excuse de debuter face cinoche, mais Louis, ne peut plus faire son comique hysterique
au moins on voit Bouvard des grosses tetes et rtl Himself dans son propre Rôle!