Un an avant Sympathy for Mister Vengeance une œuvre radicale et extrême qui redéfinit le film de vengeance.
En 2002, le cinéaste Park Chan-wook dévoile son quatrième long-métrage, intitulé Sympathy for Mister Vengeance. Premier volet d’une future trilogie de la vengeance, le film fait sensation lors de sa sortie en salles. Un objet radical, dont la brutalité insensée ne peut que profondément déstabiliser les spectateurs. Et si l’on évoque généralement Old Boy comme étant le sommet artistique de cette trilogie, Sympathy for Mister Vengeance en est certainement l’opus le plus choquant.
Bien loin de mettre en scène une histoire du genre comme on en a déjà vu des centaines, Park Chan-wook semble créer toute son œuvre autour de l’absurdité du concept de vengeance. Une sorte d’anti-film de vengeance dans lequel l’héroïsme disparaît au profit d’une brutalité crue. Qu’est-ce qui rend Sympathy for Mister Vengeance si troublant ? Essayons de décrypter la formule magique du cinéaste coréen.
Dans la joie et la bonne humeur
POUR LE MEILLEUR ET POUR LE RIRE
À l’opposé total du ton plus baroque et tragique qu’il adoptera pour Old Boy, Park Chan-wook aborde Sympathy for Mister Vengeance sur le ton de la comédie amère. Tout le long-métrage est parcouru par un humour noir déconcertant qui ne recule jamais devant le mauvais goût. On se souviendra notamment d’un gag visuel jovialement indécent venant interrompre une séquence de torture insoutenable.
Citons aussi cette séquence lors de laquelle l’héroïne distribue des tracts militants anarchistes en plein milieu d’une opération particulièrement critique. L’humour déstabilise en permanence la gravité du récit. On retrouve cet esprit taquin dans les premières œuvres du cinéaste, en particulier dans le prodigieux court-métrage Judgement sorti en 1999. Mais ce goût de la comédie noire prend cette fois-ci une toute nouvelle dimension et pousse le malaise à un niveau jamais atteint auparavant.
Bref, j'ai fait un film de vengeance
Si l’humour de Park Chan-wook perturbe à ce point, c’est aussi parce qu’il est intimement lié aux éléments dramatiques du récit. Dans Sympathy for Mister Vengeance tout n’est qu’une suite de farces cruelles. Le naïf Ryu se fait piéger et perd son argent exactement au moment où la solution tant attendue se présente à lui. Yu-sun, bientôt délivrée, meurt d’une façon terriblement absurde. Les personnages du film sont piégés dans une boucle de malédiction qui semble les punir avant même qu’ils puissent s’émanciper.
C’est certainement là que se trouve le réel malaise du long-métrage. La farce cohabite avec le drame déchirant, la perversion répugnante et la violence extrême. Cette capacité à mêler les registres pour venir perturber le spectateur deviendra évidemment la signature du style Park Chan-wook. Mais le cinéaste ne retrouvera jamais totalement ce niveau d’amusement malsain.
Cette insanité se retrouve dans le mauvais goût évident de certains choix narratifs. Citons à ce propos l’apparition d’un personnage handicapé qui devient le centre d’un humour bête et méchant en plein cœur d’une séquence censée être déchirante. Aucun tabou ne résiste au rire dans Sympathy for Mister Vengeance, quand bien même il s’agirait d’un rire forcé et nerveux.
MA CORÉE VA CRACK-ER
Il serait facile, mais totalement erroné de limiter le film à un simple effet de choc gratuit. Cependant le trouble suscité par Sympathy for Mister Vengeance est également grandement lié à son propos sociopolitique. Avec cette histoire d’enlèvement et de vengeance, Park Chan-wook livre un commentaire acerbe sur la société coréenne. On peut y trouver notamment une critique limpide d’un système de santé devenu inaccessible aux classes défavorisées.
Le personnage de Ryu incarne de toute évidence une classe ouvrière privée d’éducation et qui vit dans la pauvreté la plus totale. Les conditions de vie dépeintes par le film reflètent une réalité sociale tragique. Park Chan-wook évoque également la misère sexuelle par le biais d’une séquence aussi drôle que terrible lors de laquelle des voisins confondent cris de douleur et orgasme. C’est un cinéaste en colère qui crée cette œuvre unique. Et l’horreur banale du quotidien qu’il met en scène concurrence n’importe quel effet de choc.
De l’autre côté de l’échelle sociale, le personnage de Park Dong-jin représente une classe dominante qui se réfugie derrière ses grands appartements et ses voitures de luxe. L’indécence du contraste est frappante. Et le charisme monstrueux de Song Kang-ho contribue à nous faire saisir la nature menaçante du personnage avant même que sa vengeance ne débute. Une façon pour le film de nous rappeler que la réussite sociale se construit forcément sur la prédation.
La force de Park Chan-wook est de ne pas verser dans la caricature. Il parvient toujours à susciter une forme d’empathie étrange pour ses personnages. Ainsi il filme Park Dong-jin comme un être perdu, désincarné. Un homme qui a sacrifié sa vie entière pour son travail et se retrouve subitement désemparé, incapable de trouver du sens face au chaos.
Une masse de privilégiés sans âme
On pourrait être tentés de voir dans les fables politiques de Bong Joon-ho un écho au propos de Sympathy for Mister Vengeance. S’il n’est pas impossible que les deux cinéastes se soient influencés l’un et l’autre, ce qui les différencie radicalement est sans aucun doute le nihilisme de Park Chan-wook. Son film ne contient pas la moindre trace d’espoir. Chez le cinéaste, l’être humain semble avoir perdu la capacité de dialoguer. Toute tentative de sortir du cadre se terminera en bain de sang. Là encore, cette fatalité décuple le malaise et le choc du long-métrage.
On trouve en revanche un dialogue assez ionnant au sein même de la filmographie du cinéaste entre cette histoire de vengeance et t Security Area, son film précédent. Une fois de plus, il est possible d’interpréter cette histoire de brutalité et de dialogue rompu comme une allégorie des relations entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Dans les deux œuvres, la seule finalité sera une escalade de la violence.
TU NE TUERAS POINT
Comme tout film de vengeance, Sympathy for Mister Vengeance contient son lot de séquences brutales et de meurtres violents. Il existe cependant une différence majeure dans la façon de traiter l’action entre ce film et les classiques du genre. La violence n’apporte jamais la moindre satisfaction chez Park Chan-wook. Le cinéaste refuse d’offrir au spectateur la moindre catharsis, aucune libération jouissive n’apparaît au cœur de l’action.
Le génie coréen se contente plutôt de confronter le spectateur à une décharge de brutalité crue. Les meurtres sont filmés avec une froideur terrifiante. Chaque plan sert à mettre en lumière la nature sordide et bestiale de la vengeance. Plus que la violence extrême, c’est cette déshumanisation qui vient créer le trouble et le choc.
Un peu de douceur avant le traumatisme
Afin de déstabiliser encore un peu plus son spectateur, Park Chan-wook effectue une bascule narrative ionnante en cours de récit. Alors que l’on suivait attentivement le parcours de Ryu, c’est Park Dong-jin qui devient le nouveau protagoniste. En étant ainsi confrontés aux deux points de vue, il nous est plus facile de saisir les motivations et les trajectoires des personnages. Mais dans un même temps, l’issue ne peut s’avérer que frustrante.
En nous privant d'un héros vengeur et d'un méchant à détester, le cinéaste nous confronte à une histoire sans réelle morale. Une sorte de zone grise dans laquelle ni justice ni rédemption ne peuvent trouver leur place. Cette complexité crée un malaise fascinant. On trouvera de nombreux héritiers du film, en particulier l’indien Sriram Raghavan avec le superbe Badlapur qui repose sur ce même principe.
Pour achever l’idée de frustration permanente, on retiendra un final plus cruel et cynique que jamais. En particulier les mots déchirants de Park Dong-jin avouant à Ryu qu’il doit le tuer, quand bien même il sait pertinemment qu’il n’est pas mauvais et que tout n’était qu’un terrible accident. Aveuglés par le désespoir, les protagonistes de Sympathy for Mister Vengeance sont en quête d’une émancipation qui ne viendra jamais. En parallèle, le spectateur cherche désespérément une once d’espoir ou d’héroïsme qui manquera là encore à l’appel.
Si Sympathy for Mister Vengeance reste vingt ans après ce choc insaisissable, ça n’est donc pas uniquement pour sa violence sans limites. Park Chan-wook livre avant tout une œuvre vénéneuse. Une fable sociale dont l’humour cruel est bien plus troublant que n’importe quelle effusion de gore à l’écran. Cet anti-film de vengeance mérite largement sa place parmi les plus grands classiques d’un cinéaste ionnant.
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perso, même si je l’apprécie beaucoup, c’est clairement le plus réussi de la sage « Vengeance », je le trouve moins impactant que « Old Boy ».
@cuchulainbzh : moi, une des scènes de noyades qui m’a le plus marqué, c’était dans « Under The skin », tellement innatendu, voyeuriste et réaliste ! ça fait froid dans le dos.
La noyade, rarement une scène hors champ m’aura autant marqué dans un film.
De loin mon favori de la trilogie, juste derrière lady vengeance, en fait, je trouve que old boy est le moins intéressant, mais c’est juste mon avis.
SYMPATHY est très sombre, les acteurs sont justes, notamment le perso principal, ia quelques scènes chocs que je ne dévoilerai pas pour spoiler ceux qui ne l’ont pas vu, c’est lent, sombre, désespéré, sans espoir, très belle édition collector chez HK VIDEO.
Sinon ecran large, un dossier un jour sur l’ile du docteur moreau, avec brando, svp?
Vu a l’étrange festival y’a bien bien longtemps, une très grosse claque a l’époque…
Je n’ai pas revu le film depuis sa sortie ciné mais j’en garde le souvenir que le visionnage me paraissait bien trop long
Grand, grand film déjà !