En 1999, La Main qui tue.
Inaperçu, ou presque. La tuerie de Columbine, survenue dix jours avant sa sortie, attire l'attention des médias sur le film, mais pas de la bonne manière. Avec son personnage de lycéen dont la main droite possédée par un démon l’oblige à commettre des meurtres, La Main qui tue se retrouve au centre d’une polémique sur l'influence des films violents sur la jeunesse américaine. Hésitant, Sony finit par maintenir la sortie en salles mais annule les avant-premières et fait profil bas sur la promo, tandis que de nombreux cinémas refusent de le projeter.
Et pourtant, La Main qui tue méritait mieux que ses 4 pauvres petits millions de recette au box-office (pour un budget de 25 millions). Au-delà du simple plaisir coupable adolescent, le film propose une véritable réflexion post-moderne sur le cinéma d’horreur, et est devenu malgré lui méta, en questionnant l’influence des films violents sur les tueries de masse aux États-Unis.
Un ado qui a un poil dans la main...
Le parfait film d’halloween
Comédie horrifique, teen, stoner et slacker movie… Le ton hybride de La Main qui tue est en effet assez étonnant pour ce genre de production. Un mélange des genres assumé par le réalisateur Rodman Flender, qui a fait ses armes dans l’écurie Roger Corman et affiche aujourd’hui un CV assez hétéroclite (Leprechaun 2, The Office, Ugly Betty, Gilmore Girls ou encore Les contes de la crypte), tout comme les influences de son film.
Le personnage principal, Anton (Devon Sawa) est en effet un véritable slacker, qui e ses journées à glander devant la télé en fumant des ts avec ses potes stoners Mick (Seth Green) et Pnub (Elden Henson).
Il est tellement occupé, une main sur son bong, l'autre sur la télécommande, qu'il lui faut bien deux jours pour s’apercevoir que ses parents ont disparu. Et pour cause : ils ont été assassinés par le mystérieux tueur qui sévit dans la ville. Tueur qui n’est autre que la main droite d’Anton, possédée par un démon cherchant le plus gros glandeur du monde pour accomplir ses sombres desseins et ouvrir un age vers les enfers.
Rien de tel que les travaux manuels pour occuper la jeunesse.
Ses deux amis ne sont pas en reste côté glande : après avoir été tués par la main d’Anton, ils reviennent sur Terre sous la forme de zombies. Pourquoi ? Tout simplement parce que traverser le tunnel menant au paradis leur demandait trop d’efforts et surtout, pas question d’abandonner leur punk rock pour la "musique pas cool, genre Enya" qui tourne en boucle au paradis. Glandeurs, vous avez dit glandeurs ?
Le caractère des personnages ouvre ainsi la voie à une série de gags, parfois potaches, mais toujours réussis. Les péripéties d’Anton pour trancher sa main puis la retrouver rappellent l’humour slapstick et cartoonesque du Evil Dead 2 de Sam Raimi et la gestuelle de son acteur Bruce Campbell. D’autres gags plus simples font mouche, comme Anton prenant son courage à deux mains pour… pousser son chien à l’étage et l’envoyer en éclaireur ou se cachant sous les draps avec lui.
Véritable capsule temporelle de la fin des années 90 et du début des années 2000, La Main qui tue affiche un casting bien ancré dans son époque. On retrouve dans la peau du héros Devon Sawa (après Casper et juste avant Destination Finale), mais aussi Seth Green (alors dans Buffy contre les vampires et la saga Austin Powers), Elden Henson (L’Effet Papillon, Hunger Games, Daredevil), Vivica A. Fox (Independence Day, Kill Bill) et surtout la jeune Jessica Alba, dans l’un de ses premiers rôles.
Un casting bien acrée dans les années 90.
La bande originale du film fleure bon les années 90 elle aussi, à commencer par le groupe de punk rock The Offspring qui joue au bal d’Halloween du lycée, avec son chanteur Dexter Holland qui finit scalpé sur scène par la main possédée. Le guitariste et chanteur de Blink-182, Tom Delonge, e également une tête dans le film en tant qu’employé de fast-food. Le reste de la BO est à l’image de la musique dans le walkman d’Anton, du bon punk rock et métal des années 90 : Rancid, The Vandals, Sublime, Blink-182, Mötley Crüe, Zeabrahead, Static-X…, sans oublier le clip de Rob Zombie qui e en fond à la télé.
L’aspect horrifique n’est pas laissé de côté pour autant et le soin apporté aux effets, à la fois physiques et numériques, est une agréable surprise et montre un vrai amour du genre et des effets à l'ancienne. La main éponyme est celle de Christopher Hart, qui jouait également la main baladeuse La Chose dans La Famille Adams. Et même si elle s’exprime uniquement par des petits bruits et grognements, la voix de la main est celle de Robert Englund, l'interprète de Freddy Krueger.
Des zombies bleutés à la Romero, un chat qui mange un oeil tombé à terre, la bouteille enfoncée dans le crâne de Mick (Seth Green), la tête de Pnub (Elden Henson) posée sur le comptoir pendant que son corps vaque à ses occupations… Le choix de recourir à de bons vieux effets physiques avec des prothèses en latex s’avère payant, et les scènes fonctionnent encore très bien aujourd’hui.
Et pour cause, derrière ces effets, on retrouve des professionnels aguerris : Greg Cannom (son CV est impressionnant et s’étend de Freddy 3, The Lost Boys, L’Exorciste III à Titanic, Mme Doubtfire, Hook, ou encore Ali), Barry R. Koper (L’île du Dr. Moreau, Alien Resurrection, Scary Movie 2) et Jason Hamer (Apocalypto, Swiss Army Man).
Et même si le film n’est pas exempt de défauts (des problèmes de rythme et une Jessica Alba, caution sexy du film, uniquement utilisée comme love interest du héros), il s’en dégage une énergie et une légèreté communicative, un véritable amour du genre.
C'est bien connu, les jeunes n'ont pas la tête sur les épaules.
Not another teen movie
Au-delà de la comédie d’horreur adolescente à l’humour potache, La Main qui tue apparaît comme un petit OVNI au milieu des films cyniques et opportunistes de l’époque, qui surfent sur la vague de néo-slashers impulsée par le succès de Scream, sorti trois ans plus tôt.
Avec sa thématique sur la main droite incontrôlable d’un ado, le film avait devant lui un boulevard pour filer la métaphore masturbatoire et devenir une sorte d’American Pie de l’horreur. Mais les scénaristes ont choisi une autre voie.
Meilleure cachette pour échapper à un tueur.
Terri Hughes (créatrice de Tucker et scénariste sur de nombreuses séries) et Ron Milbauer (La Servante Écarlate) proposent une réflexion sur la génération MTV que le film met en scène. Cette génération qui a grandi avec la télé, les jeux vidéos, les clips et émissions MTV, la génération qui a besoin d’être divertie en permanence. La génération que l’on oppose à celle des (baby) boomers et que l’on accable de tous les maux, ou presque : apathie, paresse, cynisme, matérialiste…
Le monde de cette génération est ici montré comme un monde où pas grand-chose n’a d’importance. Les principales préoccupations des personnages sont la télécommande, leur bong, la jolie voisine, le bal d’halloween du lycée… Ce qui, au final, ressemble pas mal au monde des lycéens, tout simplement.
Sorti trois ans après Scream, La Main qui tue est également un film post-moderne qui a intégré les codes du slasher, et surtout, ceux du néo-slasher, énoncés par Kevin Williamson dans le film de Wes Craven, via le personnage de Randy.
À l’instar de nombreux films d’horreur, La Main qui tue s’appuie sur des références horrifiques antérieures, d’Evil Dead 2 pour la main possédée et l’humour slapstick, à Suspiria pour les couleurs jaunes, rouges et vertes de la maison et de la scène de la mise en terre des victimes d’Anton. Si le quartier dans lequel vit Anton vous dit quelque chose, ce n’est pas par hasard : le film a été tourné dans le quartier qui servait de décor pour le Haddonfield de John Carpenter dans Halloween.
Malgré ses nombreuses références, La Main qui tue ne cède pas à la facilité de citer ouvertement ces films dont il s’inspire et auxquels il rend hommage, quand Scream, et surtout ses suites, se contentent encore et encore de lancer leurs personnages dans un concours de titres de films d’horreur et de références.
Le film méta ultime ?
Au-delà de son positionnement volontairement post-moderne, La Main qui tue est également devenu un film méta, malgré lui. Dix jours avant la sortie, la tuerie de Columbine se produit. L’occasion pour les responsables politiques en place à l’époque, notamment le sénateur Joe Lieberman, de ressortir leur sempiternel refrain et établir un lien entre le film et l’actualité. Peu importe s’il n’y a aucune ressemblance entre le film et l’actualité, certains préfèrent toujours blâmer jeux vidéo et films plutôt que les conséquences du second amendement.
La question se pose alors : les mains oisives (les fameuses "idle hands" proverbiales du titre en VO) sont-elles véritablement le jouet du diable ? Cette question est tout d’abord directement posée dans le film, la main d’Anton étant possédée car le démon a trouvé en lui le vaisseau idéal : le plus gros glandeur de la planète.
La Main qui tue répond de manière intradiégétique à la question, lorsqu’Anton demande des conseils en matière de satanisme à Randy (nommé comme le personnage de Scream), puisque celui-ci écoute du métal. La réponse de Randy est sans équivoque : "C’est juste de la musique, comme Mozart…". Malgré ses tee-shirts de groupes de métal et ses tatouages, Randy s'avère être un personnage modèle, qui retape sa Ford pour se tenir éloigné des ennuis, tout en déconstruisant les clichés du métalleux sataniste souvent utilisé dans les films et les séries.
Jeux de mains, jeux de vilains...
Mais surtout, le métrage en lui-même est une réponse à cette question. Comment peut-on penser qu’un tel film, avec sa mise à distance humoristique de l’horreur et de la violence, puisse influencer les ados et les pousser à la folie meurtrière ?
Une bouteille de bière, une scie sauteuse, une aiguille à tricoter, un taser… Aucune des scènes n’implique d’armes à feu. Anton coupe sa main maléfique avec un ustensile de cuisine pour découper les bagels. Mick fixe la tête de Pnub dans sa trachée au moyen d’une fourchette à barbecue. Jessica Alba, scotchée au toit d’une voiture qui monte sur un pont élévateur, manque d’être écrasée au plafond… Aucune des situations du film n’est réaliste. Sans parler de son final grand-guignolesque aussi effrayant qu’un épisode d'Halloween des Simpson, et dans lequel la main est neutralisée par une soufflette XXL puis embrochée par la dague de la chasseuse de démons jouée par Vivica A. Fox.
Jessica Alba gagne haut la main le concours de costumes d'Halloween
Au final, La Main qui tue en apprend sûrement davantage aux ados sur les différentes façons de fumer que sur la manière d'éliminer leurs semblables, et la question du lien entre le film et les tueries de masse perpétrées par des adolescents américains semble complètement à côté de la plaque pour quiconque a vu le film.
Un avis que partage Roger Ebert dans sa critique du film, parue à l’époque de sa sortie, en pleine polémique : "Je ne pense pas qu'il faille s'inquiéter à propos d’Idle Hands. Les ados comprennent ce genre de comédie macabre […] et ne la prennent pas au sérieux. Il faudrait être déjà profondément perturbé pour être influencé par des gags aussi absurdes. La seule influence que ce film pourrait avoir sur un ado, c’est le pousser à lire le magazine Fangoria pour découvrir comment les effets spéciaux ont été réalisés".
Courage Seth, ça ira mieux demain.
Même s'il n'est pas un film parfait, La Main qui tue méritait mieux que son échec retentissant au box office, en grande partie dû au contexte de sa sortie. La rédemption du film viendra-t-elle avec une suite tardive ? Rien n’est moins sûr. Devon Sawa, qui semble-t-il n’a toujours pas digéré le bide retentissant du film, discute souvent de la possibilité d’une suite en interviews et sur les réseaux sociaux, mais il semble être le seul intéressé. À moins que la nostalgie naissante des années 90 et le début des remakes des films de cette époque et leurs adaptations en séries ne finissent par lui donner raison ?
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Ah mais ouiiiii j’en garde tellement un bon souvenir de ce film, dans ma tête c’était masterclass ! (dans son domaine évidemment, hein…)
Au magasin de location de vidéos, il était juste après « la main dans le cul » 1, 2 et 3.
De mémoire c’était une nullité.
Un petit film bien sympa sans prise de tête. Découvert Jessica Alba dedans et grrrr depuis je suis régulièrement ses nouveaux projets ! Je pense que c’est les 4 Fantastiques qui a vraiment lancé sa carrière mais a mes yeux c’est la série Dark Angel.
Avec la participation de Offspring dans le film, et cette réplique culte de Seth Green : on a vu la lumière blanche, mais elle était trop loin.
bon petit film des années 90, con comme tout mais qui dée tellement de film des années 2010-2020 dans le genre…
C’est un film que je classais à l’époque dans la même catégorie que « Eh mec, elle est où ma caisse ? » et autres débilités du genre. Il faut quand même ettre que c’est typiquement le genre de film qui fonctionne encore sur la génération qui était ado dans les années 90, grâce à son côté nostalgique. Si je fais découvrir continuellement à mes enfants de 16, 14 et 11 ans des films et séries en tous genres et de toutes les époques, si je leur fais voir « La main qui tue » je ne pense pas qu’ils vont accrocher. Pourtant ils apprécient la plupart des films (Eternal Sunshine…, Cocktail, Speed, Jerry Maguire, etc…) et séries (Dawson, Notre belle famille, Une nounou d’enfer, Friends…) que je leur fais découvrir.
Au rayon des teen movie de l’époque, un des prochains que j’ai prévu de leur faire voir est « The Faculty », qui à mon avis era mieux.
A l’inverse, quand ils me font voir « Riverdale » et autres trucs pour ados d’aujourd’hui, je n’accroche pas. Or sans doute qu’ils y repenseront dans 20 ans comme nous on repense à ces films de notre adolescence.
Echec au box-office, mais il avait du avoir son petit succès en vidéo club, en tout cas, c’est par ce biais que je l’avais vu.
Je me souviens pas vraiment du film, a part que c’était complétement con mais petite goleri avec des potes / binouses à l’époque le temps d’une soirée.
Découvert ce film étant gamin, je ne l’ai pas revu depuis et pourtant certaines scènes me restent en tête tant je l’avais beaucop aimé.
Il faudra que je le remâte à l’occasion
Meh
Oulà, je me souviens avoir vu ce film étant jeune, mais je crois que seul le titre m’était resté en souvenir.
Du coup cet article me motive bien à le dénicher quelque part histoire de le redécouvrir, merci 🙂