Films

Detective Dee : comment créer le blockbuster parfait

Par Clément Costa
10 septembre 2022
MAJ : 21 mai 2024
Detective Dee : photo

Tsui Hark a-t-il créé le blockbuster parfait ?

Figurant parmi les plus grands noms du cinéma hongkongais depuis les années 80, Tsui Hark compte d’innombrables classiques dans sa filmographie. Peu de cinéastes ont su à ce point rester pertinents et en phase avec leur époque, poussant toujours plus loin les limites du grand spectacle.

À l’aube des années 2010, le réalisateur revenait après deux ans de pause pour livrer au public Detective Dee : Le Mystère de la flamme fantôme. Et le résultat relève du miracle. Un film à la fois fidèle au style du cinéaste et résolument moderne, qui incarne la quintessence du blockbuster artisanal. Revenons sur toutes les raisons qui font de Detective Dee une véritable leçon de cinéma.

 

Detective Dee : photoUne certaine idée de la perfection

 

Le festin chinois

Parmi les genres les plus appréciés des fans de cinéma hongkongais, on cite très régulièrement le wu xia pian. Ce genre mettant en scène des chevaliers errants qui s’affrontent à coups de sabre, souvent décrit de façon simplifiée comme le film de cape et d’épée sino-hongkongais, a donné vie à de nombreux classiques. Tsui Hark a lui-même participé à la nouvelle explosion du genre dans les années 90 avec des films comme The Blade et dans une certaine mesure Il était une fois en Chine.

Lorsqu’il fut annoncé en 2010 que le cinéaste allait retrouver ce genre qu’il n’avait plus touché depuis 2005 avec le plutôt décevant Seven Swords, il y avait forcément de quoi attiser la curiosité des fans. D’autant que ce nouveau film allait s’attaquer à la figure historique de Di Renjie, dont les aventures ont été détournées par la littérature chinoise depuis le 18e siècle. Cousin pas si lointain de Sherlock Holmes, ce fameux détective Di Renjie ionnait au age le public chinois par le format sériel depuis 2004.

 

Detective Dee : photoTsui Hark prêt à nous en mettre plein les dents 

 

Non content de retrouver le wu xia pian et d’adapter une figure adorée de la pop culture chinoise, Tsui Hark voit les choses en grand pour son long-métrage. Il décide tout simplement de mélanger tous les genres auxquels il s’est attaqué avec brio dans sa (très) prolifique carrière.

Detective Dee : Le Mystère de la flamme fantôme offrira aux spectateurs une enquête, de l’action, des séquences aux frontières du surnaturel et un traitement romancé de l’histoire chinoise. On a une sorte de condensé de tout ce qui fait le style de Tsui Hark, le tout pour un spectacle total de 2 heures.

 

Detective Dee : photoDu wu xia pian, mais pas que... 

 

Conscient de la complexité du défi qu’il s’est lancé, le cinéaste s’attache à iconiser ses personnages dès les premières minutes. Évidemment, le célèbre détective a droit à une entrée en scène spectaculaire, porté par un Andy Lau charismatique au possible. Tsui Hark fait monter progressivement la tension, ne nous dévoilant le héros qu’après 20 minutes de film à l’occasion d’un combat absolument démentiel qui donne le ton de toute la saga à venir.

Mais le cinéaste n’oublie pas pour autant l’importance des rôles secondaires. L’impératrice Wu Zetian, campée par une Carina Lau royale, en impose immédiatement. Autoritaire, menaçante, elle contribue autant que le héros à donner de la consistance à l’univers de l’œuvre. Il en va de même pour Deng Chao dans son rôle de Pei Donglai, serviteur albinos de l’impératrice. La caractérisation, les performances, tout cela crée un monde tangible et palpable. Voilà un univers au potentiel narratif qui nous semble infini et dans lequel on a hâte de se replonger dès que le film se termine.

 

Detective Dee : photoDes personnages inoubliables

 

TOUJOURS PLUS LOIN, TOUJOURS PLUS FORT

S’il fallait résumer l’immense filmographie de Tsui Hark en un seul mot, ce serait probablement générosité. Et Detective Dee n’échappe pas à la règle. À chaque plan, le cinéaste veut nous en mettre plein la vue. De la séquence d’ouverture sur un chantier démesuré aux dernières images d’un Dee replongeant vers le marché fantôme, chaque centime de budget est optimisé pour que l’on ait un feu d’artifice incessant à l’écran.

Difficile de nier à quel point l’expérience visuelle est folle. On assiste à un jeu constant entre effets pratiques et prouesses numériques. Et si certains effets numériques ont mal vieilli, il est impossible de ne pas irer l’ambition qu’a le cinéaste de repousser constamment les limites de son cinéma et de son industrie. À cela s’ajoutent la beauté subjuguante des décors volontairement factices, quelque part entre l’opéra chinois et le cinéma expressionniste.

 

Detective Dee : photoL'art du spectacle

 

En voulant faire toujours plus fort, Tsui Hark pousse constamment son public à l’exigence plutôt que de se reposer sur ses acquis. Et il ne cessera de placer la barre du spectaculaire plus haut à chaque opus de sa trilogie. Pinacle de son ambition, Detective Dee : La Légende des Rois Célestes reste encore un des blockbusters les plus explosifs de la décennie ée.

On ne retrouve cette soif de spectacle sincère et total que chez une poignée de cinéastes à l’heure actuelle. À ce titre, le génie indien S.S. Rajamouli (à qui l'on doit les ionnants RRR et Baahubali) semble être l’héritier le plus direct de Tsui Hark ces dernières années. Même amour de la démesure, même capacité à enchaîner les prouesses techniques sans jamais négliger la narration, la filiation est évidente. 

 

RRR : photoTu vois ça ? C'est notre modèle !

 

B pour blockbuster

Non content de respecter son public sur la technique et les qualités scénaristiques, Tsui Hark veut également le pousser à la réflexion. Dans un contexte bien plus libre, avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine, le cinéaste avait livré plusieurs œuvres ouvertement politiques. Bien qu’il doive faire preuve de prudence et de finesse dans le contexte actuel, son Detective Dee dévoile un sous-texte ionnant.

À première vue, on pourrait être tenté de réduire le film à un récit conservateur. Après tout, l’enjeu principal est bien de protéger le régime en place. Il faut absolument éviter le désordre, sauver l’impératrice à tout prix, quand bien même elle serait dangereusement autoritaire. C’est d’ailleurs un enjeu qui reviendra de façon plus ou moins directe à chaque volet de la trilogie.

 

Detective Dee : photoUn blockbuster qui sait être sérieux

 

Mais le film s’avère bien plus intelligent que ce qui apparaît en surface. Avant toute chose, Dee est un marginal. Exilé, ayant perdu les bonnes grâces du royaume, il devra ironiquement se condamner aux ténèbres à la fin de récit malgré ses actes héroïques. Il affirme lors du dernier dialogue être un solitaire qui n’aspire qu’à la paix de son âme. On est bien loin du héros populiste et patriote qu’affectionnent tant les blockbusters chinois de ces dernières années.

Sans faire de la psychologie de comptoir, il n’est pas impensable de voir un parallèle intime entre Dee et le parcours du cinéaste. Natif du Viêt Nam, membre actif de la Nouvelle Vague hongkongaise, temporairement exilé aux États-Unis, Tsui Hark a tout du marginal condamné à suivre un chemin solitaire.

 

Detective Dee : photoWe are the Knights who say "Ni(hao)"

 

D’autant que Detective Dee n’a pas peur de proposer une réflexion sur l’autoritarisme aveugle, à l’origine même de la conspiration. Derrière le récit moralisateur sur le danger de répondre à la violence par la violence, il y a une mise en garde explicite adressée aux partisans d’un pouvoir absolu.

Et la complexité du personnage de l’impératrice ne fait que servir le propos du film. Bien que le héros soit à son service, elle symbolise une Chine ne sachant diriger que par la peur et la brutalité, qui vit dans la peur constante de l’Autre et suspecte ses sujets de traîtrise à la moindre incompréhension.

Une finesse dans le propos que l’on ne peut que regretter avec les derniers films de Tsui Hark. En particulier Heroes - The Battle at Lake Changjin qui conserve une générosité folle de mise en scène, mais adopte un ton ouvertement propagandiste.

 

The Battle at Lake Changjin : PhotoMais où est ée la finesse ?

 

Au final, Detective Dee : Le Mystère de la flamme fantôme résume tout ce qui fait le génie du cinéma de Tsui Hark. On assiste à un film d’une générosité sans limites, peuplé de personnages inoubliables. Les prouesses techniques se succèdent scène après scène, le tout avec une écriture à la fois divertissante et intelligente. Une véritable leçon de blockbuster comme on aimerait en voir plus souvent.

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Mon avis intéresse la Terre entière
Mon avis intéresse la Terre entière
il y a 2 années

Et aussi Terreur extraterrestre !

Ray Peterson
Ray Peterson
il y a 2 années

@的时候水电费水电费水电费水电费是的 Mx, effectivement Kyle Cooper, grand nom du générique!
Citer la Sirène Rouge et Le Chacal (version 1997) fallait oser quand même (ah ah)

Sinon en terme de création générique notre frenchie Laurent Brett s’en sort pas mal aussi!
Enfin j’adore les génériques de Casino (le grand Saul Bass) Catch me if you can ou encore Lost Highway (mais y’en a tellement) qui sont de belles réussites aussi.

Mx
Mx
il y a 2 années

d’ailleurs, pour reparler brièvement du témoin du mal, j’ai toujours accordé une attention toute particulière aux génériques d’introduction des films, voici mes favoris, ray, j’espère qu’ils te plairont:

Seven
Mimic
l’île du docteur moreau
otage
le négociateur
la sirène rouge
Juno
detour mortel
le chacal (1997)
ennemi d’état
terminator 2

mes 3 premier sont mes favoris, normal, c’est kyle cooper qui est derrière!!

Zarbiland
Zarbiland
il y a 2 années

Etrange de parler de blockbuster parfait pour un film oubliable. Je me suis ennuyé, le final est sympa mais trop de rebondissements invraisemblables et un vrai problème de rythme.

Mx
Mx
il y a 2 années

Ray, c’est pas un film culte, on est d’accord, mais j’ai toujours eu une affection particulière pour ce film, c’est carré, solide, et pourtant sa dure deux bonnes heures mais globalement la narration se tient, je trouve, et ia un excellent cast, denzel, d’abord, qu’on a pas l’habitude de voir dans ce genre de registre policier/fantastique, et puis tous les autres, shuterland en supérieur mielleux, goodman excellent en partenaire, le regretté james gandolfini, elias koteas, toujours au top même si son temps de présence est très court (lol), le générique est top, sur la musique time is on my side, à mes yeux l’un des meilleurs génériques de films, et le film a un parfum d’enquête rétro qui prend son temps, ce qui s’est un peu perdu, à notre époque, donc oui, j’aime ce film!

Total western est trop sous-estimé, on est d’accord, c’est pour moi le meilleur rôle de le bihan, et il est tout à fait crédible en anti-héros action man, une édition de qualité s’impose à mes yeux, et puis, la gouaille de jean-pierre kalfon et ses répliques savoureuses (« sa va sentir la fondue savoyarde!! »), cela n’a pas de prix!!

Ray Peterson
Ray Peterson
il y a 2 années

La saga des Detective Dee est plutôt pas mal fagoté!
Le 3 est un blockbuster bien timbré dans l’esprit Tsui Hark avec un final hilarant et grotesque mais qui pour moi enterrait toutes les grosses prod de l’époque.

@M.X., ah le Témoin du Mal! Pas forcément génial mais quel casting. Elias Koteas et du Stones!
Total Western remériterait sa chance avec Le Bihan qui était bien à cette époque comme Rochant d’ailleurs.

Mx
Mx
il y a 2 années

au fait, ecran large, dans la catégorie pas si nul que sa, j’aimerais bien voir des articles sur les films suivants:

le témoin du mal, chasse à l’homme, l’île du docteur moreau (1996), the night flyer, pluie d’enfer, total western, les insoumis avec richard berry, ou encore la dernière cavale, de kiefer shuterland, et pour finir le maitre des illusions, de clive barker, voilà.

Merci, ecran large!