L'édition 4K disponible depuis mi-juin 2021 de Last Action Hero ravit les amateurs de cinéma américain. Énorme flop lors de sa sortie en 1993, la comédie d'action est depuis largement revenue en odeur de sainteté, au point de bercer l'enfance d'une génération entière et de trouver grâce aux yeux de ceux qui font et commentent la pop-culture aujourd'hui. Ecran Large ne déroge pas à la règle, et saute sur l'occasion pour consacrer deux dossiers au blockbuster.
Après avoir décrypté la genèse hallucinante de ce blockbuster énorme, on plonge dans la profondeur de sa mise en abyme.
Un film dans le film dans le film...
Dès ses débuts, le cinéma s'est amusé à mettre en scène son propre dispositif, pour mieux souligner son artificialité. Simple projection de lumière sur un panneau blanc, le septième art est particulièrement propice à l'auto-réflexivité. En 1929, le pionnier de l'avant-garde russe Scream et ses dérivés, la mise en abyme et ses pendants divers n'ont cessé de squatter la pellicule.
Le premier jet de Last Action Hero, pondu par deux aspirants scénaristes drogués à la pop culture, s'inspire d'ailleurs, de l'aveu même de Woody Allen, ce n'est pas une vraie personne qui rentre dans le film, mais l'inverse. Une comparaison d'autant plus évidente que le second acte livré par McTiernan et son armée de scénaristes rejoue le même enjeu.
La Rose pourpre du Caire, le meilleur film de Woody Allen selon Woody Allen
Ces reproches, rapprochements et questions futiles du type "qui l'a fait en premier ?" importent finalement peu. Le cycle est infini. Un genre émerge, ravit un public, puis e à la moulinette de la déconstruction de ses mécaniques. Chez Dziga Vertov, c'est la prise de vue dépouillée, chez Allen, le cinéma romantique hollywoodien, chez Wes Craven, le slasher. Et chez McTiernan, consciemment ou pas, c'est le blockbuster qui en fait trop.
Retracez l'histoire de la production du film : à chaque étape, il y a quelqu'un qui en fait trop. D'abord, le duo de scénaristes, avec son script si frontalement méta qu'il en devient profondément stupide, en fait trop. Columbia, et ses dépenses indécentes, en fait trop. Schwarzenegger, et ses caprices de vedette intouchable, en fait trop. Enfin, McTiernan, avec ses retouches scénaristiques et ses mouvements de caméra hallucinants, en fait trop. C'est d'ailleurs sa marque de fabrique.
Ses défauts - indéniables - vont donc dans ce sens. L'univers présenté reste profondément incohérent, que ce soit dans le monde de Slater (on a beau retourner la question dans tous les sens depuis 30 ans, ce chat animé est toujours aussi improbable), ou dans le nôtre, lorsqu'il se fait contaminer par la fiction (Slater perd ses pouvoirs alors que la Mort du Septième Sceau garde les siens).
Mais ces incohérences sont finalement typiques du cinéma que le réalisateur représente, un cinéma tapageur, enclin à insérer au forceps des concepts pour peu qu'ils soient amusants, au mépris du bon sens, ou à défier régulièrement les règles de la physique avec des mouvements de caméra captant, en extérieur et sans raccourci, des cascades de dingue grâce à une mise en scène disproportionnée. Une démesure foncièrement casse-gueule, qui a donné d'autres classiques complètement bancals comme Commando, auquel Last Action Hero rend allégrement hommage. Une démesure, qui, pour s'exposer autant, doit obligatoirement s'effondrer sur elle-même.
Ça manque un peu de bazooka, quand même
les Derniers dinosaures
Certes, Jurassic Park a signé la perte de Last Action Hero, au point de faire dire à certains membres de l'équipe technique qu'ils préfèrent les dinosaures de Spielberg aux gros bras d'Arnold. Mais c'est bien dans ce duel perdu d'avance, dans cette annihilation économique pure et simple, que réside la puissance enfouie du long-métrage. Acculé face à l'écrasante perfection du film d'aventure ultime, il se transforme en crépuscule hollywoodien, en champ de bataille endeuillé du dernier combat pour la domination du box-office.
Car McTiernan, ou même Shane Black, sont bien moins rompus à l'exercice de l'auto-citation que l'auteur des Qui veut la peau de Roger Rabbit ?.
Une relation très spielbergienne
Dès Predator, Die Hard et consorts, destinés à un public plus adulte.
Mais Last Action Hero tente de concilier les deux approches, de mêler, comme le revendique Schwarzenegger, la violence du divertissement musclé et la candeur et le culte de la référence enfantine qui s'installent de plus en plus dans l'industrie, grâce à Amblin. Ironiquement, Jurassic Park le sure aussi sur ce terrain : son intrigue à la fois familiale et quasi horrifique s'adresse à tout le monde.
Quand le Hollywood des gros biceps et de la tôle froissée se la joue autodérision, il entraine avec lui son incapacité à ne pas déborder, son appétit absurde, prouvant sa nature profondément suicidaire. Et lorsqu'il se parodie, Schwarzenegger pastiche aussi ses écarts les plus délirants, comme la promotion de cette fameuse chaine de restaurant, vouée à l'échec. Toute la palette des débordements des années 1980, répliquant avec bien moins de maîtrise les grands accomplissements de James Cameron, s'y retrouve exposée d'une façon ou d'une autre.
Sauf que Jurassic Park aussi joue la carte "méta". Plus subtilement, il relate quasi littéralement la construction d'un divertissement populaire... et les dangers que cela implique. Les deux films se répondent parfaitement : Jurassic Park nous montre Last Action Hero... et Last Action Hero nous montre Jurassic Park.
La réalité dans laquelle Slater se retrouve malgré lui n'est jamais filmée d'un point de vue réaliste. La mise en scène ne change pas complètement de paradigme. Le héros glisse juste dans une autre strate de divertissement, une strate où le cinéma est déjà une réalité avec laquelle il doit composer. Si Spielberg met en scène la déliquescence jouissive du spectacle de masse américain, McTiernan met en scène un age de témoin, une nouvelle ère du blockbuster conscient de lui-même.
Et d'ailleurs, le réalisateur de Ready Player One, largement anticipée par les séquences dans le commissariat de la production Columbia, enchainant les caméos et les renvois esthétiques à un rythme effréné, dans une sorte de méga-arène de la pop-culture. Comme par hasard, Zak Penn participera à l'écriture de ce Ready Player One...
Chaos walking
La théorie du chaos telle qu'énoncée par le "docteur" Ian Malcolm trouve donc sa concrétisation la plus évidente dans Last Action Hero. Et c'est justement ce qui le rend si attachant. Au sein de cette épopée 100% américaine, les running gags flatulents ("Léo the Prout va lâcher les gaz et tout le monde sera dégommé !", notez l'apport de l'hilarante VF) côtoient les références à Ian McKellen).
Lorsqu'il est pressé de toutes parts, le panorama d'artistes qui préside à sa conception vise plus la générosité que la retenue. D'où cette avalanche de gags drôles non seulement parce qu'ils sont absurdes, mais aussi parce qu'ils sont déplacés. On peut citer la pyramide de chiens ou les décollages de voiture en arrière-plan, voire les caricatures complètement à côté de la plaque des figurantes féminines, se dandinant à longueur de film en arrière-plan.
Et quand ces sorties de route rencontrent le sens du cadre et surtout la mobilité de la caméra de McTiernan, capable d'insérer des travellings compensés en pleine poursuite, on a envie de s'exclamer : "Il l'a fait. Il y est arrivé ce vieux dégénéré". Face à la machine intelligente et millimétrée de Spielberg, sur le point d'influencer 30 ans de cinéma grand public, le long-métrage incarne la douce folie, voire l'anarchie du blockbuster viril des années 1980, symbolisée par le ticket magique, fonctionnant au bon vouloir des scénaristes.
Une folie qui va survivre le temps de deux chefs-d'oeuvre délirants, derniers feux d'artifices conscients orchestrés par les deux grands manitous du mouvement : Le Dernier Rempart, face à la rigueur proprette des machines carburant à la référence, prendra bien moins de risques qu'un gros machin mal dégrossi promu par une fusée de la Nasa qui ne partira même pas à temps. L'héritage de Jurassic Park abandonne l'effet roulette russe de l'action de la grande époque, anesthésie le risque en multipliant les coups de coude au spectateur, y compris dans la prochaine itération de la saga.
Last Action Hero se prosterne devant le nouveau modèle de divertissement, avant d'exploser avec le genre qu'il moque. Un baroud d'honneur foutrement émouvant, qui provoque une nostalgie carrément justifiée. Shane Black et McTiernan posent une question au cinéma qui en a fait des icônes : "To be or not to be ?" La réponse est claire : "Not to be". Boum.
La suite est réservée à nos abonnés. Déjà abonné ? Se connecter
Super article! Et film d une incroyable générosité et drôlerie qui m a transporté plus jeune.
« Comment comptes-tu claquer des doigts pour tes molosses, une fois que je t’aurais bouffé les pouces des deux mains? »
Le film est vraiment sympa mais marque la fin de cette génération de films dont il se moque gentiment. Par contre, la voix VF du gamin est juste inable et plante à elle seule le film.
Ma fille de 9 ans connait certains dialogues par coeur, sans l’avoir vu. A force que je sorte les punchlines de ce film.
« Pourquoi je perdrai mon temps avec un branquignole dans ton genre, alors que je pourrais faire des choses beaucoup plus risquées ? Comme ranger mes chaussettes par exemple »
Donc Last action hero est un film profondément nihiliste ? L’échec était inévitable alors … Not to be ! Ce que sera le résultat au box office.