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Le Tombeau des lucioles : ce chef-d’œuvre du Studio Ghibli qui fait pleurer tout le monde

Par Déborah Lechner
7 février 2021
MAJ : 21 mai 2024
Le Tombeau des lucioles : photo

Préparez vos mouchoirs, parce qu'on va reparler du Isao Takahata, un film d'animation japonais des années 80 qui mérite tous les honneurs.

Quand on parle du Studio Ghibli, il est difficile d’écarter Mes voisins les Yamada). 

Mais s’il est revenu en force avec le sublime conte de la princesse Kaguya en 2013 avant de s’éteindre en 2018, son oeuvre la plus marquante reste incontestablement Le Tombeau des lucioles, un monument de l’animation japonaise qui dénote complètement du reste des films du studio et s'est hissé au rang de chef-d’oeuvre du 7e art. 

 

photoChronique d'une mort annoncée

 

À TENIR HORS DE PORTÉE DES ENFANTS

Après avoir enfilé la casquette de producteur pour les deux précédents films d’un Hayao Miyazaki en pleine ascension (Toru Hara l'adaptation d’une nouvelle publiée en 1967 qui raconte la lente perdition de Seita et Setsuko, deux jeunes orphelins japonais livrés à eux-mêmes durant les dernières semaines de la Seconde Guerre mondiale. Si le film a rapidement conquis la critique, l’accueil du public a été nettement moins enthousiaste, au point où il a carrément été boudé par une partie des spectateurs japonais. 

La campagne promotionnelle y est pour beaucoup puisque le film a été vendu comme une production destinée aux enfants et leurs parents, de même que Mon voisin Totoro, un autre chef-d’oeuvre du studio sorti contement en 1988. En réalité, après que son scénario ait été plusieurs fois rejeté, Miyazaki a pu obtenir le financement nécessaire pour réaliser son film à condition qu'il sorte en même temps que celui de Takahata, afin que les spectateurs enchaînent les séances et que les profits soient maximisés.

 

photoUn peu de douceur dans ce monde de brute

 

Mais Le Tombeau des lucioles n’a rien d'un film pour enfants et a donc vite été boycotté par les parents horrifiés par la violence et la noirceur de l’histoire. Encore plus lorsqu’il était programmé juste après ce bon gros Totoro, les spectateurs n'ayant pas forcément envie de se rappeler les horreurs de leur é après la bonhomie ambiante du précédent film. À l’inverse, les spectateurs étaient ravis de pouvoir suivre les facéties des deux fillettes après le récit traumatisant qu’ils venaient à peine de digérer. 

L’échec commercial du Tombeau des lucioles a donc causé quelques soucis de trésorerie au Studio Ghibli, qui a heureusement pu colmater les brèches avec les recettes des nombreux produits dérivés de Mon voisin Totoro, une mascotte devenue depuis l’emblème de la firme. Si cette histoire candide sortie de l’imaginaire débordant et singulier de Miyazaki correspond parfaitement à l’esprit enchanteur et généreux de son catalogue (sans pour autant se défaire d'une seconde lecture plus mature), il n'en est rien du chef-d'oeuvre de son collaborateur. Lui ne puise rien (ou presque) dans le fantastique ou la science-fiction, livrant au contraire un récit intimiste et glaçant de réalisme

  

photoLe premier jour du reste de leur vie

 

VOYAGE DANS LE TEMPS 

Comme on le disait un peu plus haut, Le Tombeau des lucioles est l'adaptation de La Tombe des lucioles, une nouvelle semi-autobiographique d'Akiyuki Nosaka, un survivant des bombardements de la ville de Kobe, qui s'est retrouvé seul avec sa petite-soeur de 2 ans, finalement morte de malnutrition. Il était donc impensable pour l'auteur d'adapter son récit au cinéma, car il était d'après lui impossible de recréer assez fidèlement le Japon dévasté de 1945. De même, il serait impossible pour de jeunes acteurs (14 et 5 ans dans le film) de ressembler physiquement à des enfants faméliques au seuil de la mort, ou même de comprendre véritablement la psyché de leur personnage. 

Il a donc décliné plusieurs offres jusqu'à celle de Takahata, qui proposait d'en faire un film d'animation qui ne travestirait pas la réalité comme à l'ordinaire, mais permettrait au contraire de s'en rapprocher le plus possible, sans entraves humaines ou matérielles. Une démarche a priori paradoxale qui a cependant permis de crédibiliser l'animation aux yeux du public adulte, le film étant un classique du genre adulé de nombreux cinéphiles. L'auteur a d'ailleurs été impressionné par le réalisme des paysages calcinés par les bombes incendiaires, par les rizières et les bâtiments en ruines du quartier où il vivait enfant, reproduit presque à l'identique dans le film. 

 

photoLe Studio Ghibli aurait dû créer une cellule de crise pour cette scène

 

Le réalisateur a probablement lui-même puisé dans ses souvenirs puisqu'il a aussi fui les bombardements américains de 1945 sur Okayama avec une de ses soeurs, ce qui ne lui a pas facilité la tâche pour autant. Comme il l'a expliqué à Nosaka lors d'une conversation de préproduction, l'animation japonaise n'avait pas pour habitude de dépeindre le Japon de façon aussi réaliste. Il avait eu tout le loisir de faire des recherches sur la Suisse, là où se déroulait la série Heidi, mais jamais sur son propre pays. Le Tombeau des lucioles a donc fait sauter le plafond de verre en s'attaquant à la chute de l'Empire japonais d'un point de vue intérieur, sans compromis narratif ni patriotisme aveugle. 

Le film s'apparente ainsi à un témoignage qui n'adopte jamais l'approche plus froide et factuelle du documentaire, mais ne verse jamais dans le pathos racoleur et larmoyant (ça, c'est plutôt de l'autre côté de l'écran). L'agonie de Setsuko est présentée avec tellement de justesse qu'elle en est parfaitement insoutenable, comme chaque événement qui jalonne le reste de la vie des personnages.

Le film fait d'ailleurs preuve d'une certaine pudeur et ne surexplicite jamais ce qui se déroule à l'écran, préférant se reposer sur l'observation et l'interprétation des spectateurs ainsi qu'une composition très réfléchie et subtile de ses plans. Ne serait-ce qu'avec l'affiche où les deux enfants contemplent gaiement les lumières des lucioles auxquelles se mêlent les bombes incendiaires larguées par un avion tapi dans l'obscurité. 

 

photoLe début de la fin

 

LA PETITE FILLE AUX LUCIOLES

Le Tombeau des lucioles, comme la nouvelle, est une proposition radicale qui choisit d'annoncer la mort de Seita et Setsuko dès les premières minutes, jusqu'à ce que le film, à l'image du train dans lequel ils sont, remonte le cours de l'Histoire et de leur courte existence. Une démarche à contresens du schéma narratif plus classique du cinéma hollywoodien, avec l'inoxydable quête initiatique ou à défaut, une mort épique et héroïque. 

Takahata avait également à coeur de briser le décalage entre les braves héros de fiction et les spectateurs qui, selon lui, peinent parfois à s'identifier à ces figures anoblies et peuvent à l'inverse ressentir un complexe d'infériorité. Seita est de ce fait un adolescent dévoué et idéaliste, dont les mauvais choix (si tant est qu'il y en ait vraiment des bons) l'ont malheureusement conduit à sa perte. Son ego, ses illusions et son déni l'ont poussé à se retirer de la société pour se recréer un nouveau foyer, un coin de paradis déconnecté du monde et de leur détresse. Un lieu paisible qui n'est qu'une oasis mirage et un espoir éphémère, à l'image des lucioles éteintes et du brusque retour à la réalité de Seita. Mais cette fragilité et cette naïveté ne privent pas le personnage d'un certain aspect romanesque.

 

PhotoUn dernier rayon de soleil avant l'obscurité 

 

Comme l'a expliqué l'auteur, le jeune orphelin n'est pas une retranscription autobiographique, mais un personnage moral placé dans une situation idéalisée où la survie de Setsuko fait jurisprudence et justifie les mauvaises actions, notamment le vol de nourriture. Une déculpabilisation ressentie et transposée par l'auteur qui a souvent insisté sur le soutien psychologique qu'a été sa petite soeur. 

Pour autant, faire mourir Seita a été un exercice cathartique qui a donné une plus grande aura au personnage et permis à l'auteur d'extérioriser "le syndrome du survivant" qu'il a développé à l'égard de sa petite-soeur. Si sa mort a été une épreuve terrible, l'auteur a également reconnu qu'elle avait aussi été le soulagement d'un fardeau (il n'avait alors que 10 ans). Il a donc choisi de laisser dépérir Seita de chagrin et de résignation, renforçant un peu plus la dimension lyrique et tragique de l'oeuvre qu'il a d'ailleurs décrite comme l’histoire d’un double-suicide.

Le Tombeau des lucioles n'est pourtant pas le premier ni le dernier film à ouvrir les vannes lacrymales des spectateurs par son injustice. Mais on parle ici d'une émotion viscérale et sincère, loin des larmes de crocodile qui ont coulé sur nos joues quand Simba s’est approché du corps gisant de Mufasa, ce qui ne rend cependant pas l'ensemble profondément mélodramatique ou dépressif. 

 

photoInstants contemplatifs

 

Le film fourmille de moments suspendus, de notes douces et chaleureuses accentuées par les partitions de Michio Mamiya, à commencer par le premier acte où l'esprit apaisé de Seita retrouve celui de l'espiègle petite fille. Pour Nosaka et Takahata, il était indispensable de dépeindre en parallèle une existence substantielle faite de moments simples et heureux, de petits riens qui savent exalter les tout petits dont l'innocence n'a pas été entièrement balayée. L'animation utilise d'ailleurs des contours majoritairement bruns pour adoucir l’image, ce qui a nécessité un effort d'adaptation pour réussir à contraster suffisamment les dessins.

De même, le film n'est pas fataliste et se termine sur les deux esprits réunis contemplant le Japon moderne qu'illuminent les hautes et écrasantes tours vitrées. Un dénouement que l'écrivain a écrit en plein essor économique du pays. Il évoque ainsi la fin d'une époque et le début d'une nouvelle, un é cicatrisé et un futur plus lumineux que l'auteur, Seita et Setsuko regardent cependant de loin. 

En ce qui concerne l'animation nippone,  juste ici.

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rientintinchti
rientintinchti
il y a 4 années

Très grand film.
Le conte de la princesse Caguya du même réal est grandiose également.
Le tombeau des lucioles m’a toujours fait penser à l’un des meilleurs, sinon le meilleur Spielberg, l’empire du soleil. Chef d’oeuvre absolu.

Baretta
Baretta
il y a 4 années

Chef d’œuvre absolu d’un film dont personne ne peut sortir indeme.
J’ai acheté le dvd il y a bien longtemps mais je n’ai jamais réussi a revoir plus que les 10 premières minutes.

Ed
Ed
il y a 4 années

Sacré souvenir de Cinéma & d’émotion! Des années plus tard, j’en ai encore les yeux gonflés! 😉

roger
roger
il y a 4 années

Comme tous les témoignages précédents j’y suis allé de ma petite larme (qui a rempli un seau, voir deux). Un film d’une telle beauté, d’une telle tristesse, tellement humain, tellement poignant qu’il procure presque une douleur physique à sa vision. Un sacré choc ! Je ne sais pas si je erais de le revoir mais je suis tellement content de l’avoir vu.

Marvelleux
Marvelleux
il y a 4 années

Vu il y a quelques temps sur Arte, j’en ai eu la larme aux yeux. Je recommande le film

Nico
Nico
il y a 4 années

@Cépafo

Je n’aurais pas mieux dit, j’avais à peine 15 ans quand je l’ai vu, je ne m’en suis jamais remis.

Cépafo
Cépafo
il y a 4 années

Bijou, grandiose, désenchanté, réel, beau, triste. L’un des plus beaux films que j’ai pu voir. Et l’un des films que je ne veux plus jamais revoir.

Impossible à rematter à cause de cette fin d’une tristesse infinie. Je sais que mon cœur de quadragénaire ne pourrait le er.

dams50
dams50
il y a 4 années

Quand le film a été diffusé en , il s’est vu programmé les mercredi AM pour les gamins. C’est dire la méconnaissance des diffuseurs de l’époque sur ce qu’était capable de produire l’animation japonaise…

Il y encore pas si logntemps, le cinéma de mon village se cantonnait encore à programmer les productions Ghibli le mercredi AM dans le cadre de ciné-goûters, ce qui leur a valu une petite mise au point de ma part. (Milles excuses à leurs bénévoles, mais bon …)

Sinon, sur une thématique assez proche, voir également le film d’animation « Dans un recoin de ce monde », adaptation éponyme des manga.

Deny
Deny
il y a 4 années

Un chef d’œuvre. Tellement triste qu’on le voit qu’une fois!A ne surtout pas regarder quand on est en dépression!

C.Kalanda
C.Kalanda
il y a 4 années

Honneur à qui aujourd’hui encore y survivra, surtout si maintenant vous avez des enfants. Hugo disait « la mélancolie c’est le bonheur d’etre triste ». Je trouve que ça exprime bien ce qu’on peut ressentir en voyant ce film.