Une autre zone d’intérêt
Synthétiser sur une simple critique le brio d’un film comme The Brutalist peut difficilement lui rendre justice, surtout après un seul visionnage. On pourrait, a contrario, dédier tout un texte à son plan-séquence introductif, qui définit avec maestria toute la complexité du programme qui nous attend. Dans un chaos assourdissant, la caméra suit de dos une silhouette, ou plutôt un buste étouffé par ce cadre oppressant. Difficilement, l’homme s’extrait de la foule, se fraye un chemin dans des couloirs sombres et indéfinissables, rendus abstraits par l’absence de profondeur de champ.
On se croirait dans Le Fils de Saul de László Nemes, et pour cause : ce personnage, nommé László Tóth (Adrien Brody, dans l’un de ses meilleurs rôles, tout en délicatesse et fragilité), est sorti depuis peu des camps de concentration, mais on ne l’apprendra que plus tard. Il est en réalité dans un bateau vers les États-Unis, et lorsque l’arrivée de la caméra sur le pont permet enfin de respirer, la Statue de la Liberté est vue à l’envers, signe annonciateur du cauchemar éveillé que va constituer le film-fleuve.
L’ambiguïté spatiale de cette entrée en matière est clairement voulue par Brady Corbet : en sous-entendant l’irreprésentable dans cette cacophonie industrielle, le cinéaste montre déjà que la fuite de Tóth de cette Europe dévastée ne l’empêche pas d’emporter avec lui ses traumatismes, et plus généralement un angle mort de l’Histoire que l’Amérique n’a pas vraiment envie de regarder en face.
Là réside le caillou qui ne quittera plus la chaussure du long-métrage. The Brutalist est loin de figurer le parcours d’un architecte formé au Bauhaus, reparti de zéro avant d’être repéré pour son talent. C’est avant tout une œuvre qui déconstruit par petites touches de plus en plus explicites ces États-Unis triomphants de l’après-guerre, terre d’accueil et d’entrepreneuriat qui voudrait se valoriser face à la sauvagerie d’une Europe déliquescente. La réalité est bien moins glamour. László se rend à des soupes populaires prises d’assaut, accepte les petits boulots sur des chantiers, et n’espère qu’une chose : pouvoir faire venir sa femme Erzsébet (Felicity Jones, bouleversante), toujours coincée en Hongrie, malgré une bureaucratie peu compatissante.

En béton armé
Néanmoins, une part de nous attend l’évidente “opportunité” promise par ce pays de tous les possibles. Dans sa première heure virtuose, dont le rythme envoûtant enchaîne ses saynètes dans l’attente d’un futur meilleur, Corbet se laisse aller à un impressionnisme de cinéma magistral, épaulé par la beauté incandescente de son tournage en 35mm (plus précisément avec le procédé VistaVision). Le contraste des couleurs et des textures de Lol Crawley fait ressortir la vie sur la peau des acteurs (pores, rides et autres marques du temps), comme une opposition parfaite avec la pureté des matériaux lisses employés par László dans ses designs.
C’est à ce moment-là, où les failles du rêve américain se laissent percevoir, que le personnage est ramené dans le songe. Sa rencontre déterminante avec un millionnaire du nom d’Harrison Lee Van Buren (Guy Pearce, parfait en mécène diabolique et faussement mielleux) permet au personnage de faire ses preuves, d’ériger l’une de ses montagnes de béton pour la communauté à laquelle il souhaite appartenir.

La mise en scène se met à éclore, emportée par ces grands espaces et ces routes infinies sur lesquelles on conduit à vive allure. Pourtant, le film prend soin de garder quelques barrières ou frontières visibles, ici et là, afin d’entraver cette liberté factice. Cette segmentation est même au cœur de sa structure narrative, composée de deux actes symétriques scindés par un entracte de 15 minutes. Cette pause nécessaire laisse juste voir un compte à rebours, séparant un peu plus László du retour de sa famille, alors réduite à une photographie à l’allure fantomatique.
Ce décompte, c’est aussi la bombe à retardement qui vient de s’enclencher. L’arrivée d’Erzsébet, qui entame cette seconde partie, ramène avec elle la réalité de la Shoah tant refoulée par László au travers de la drogue et de son art. L’aveuglement temporaire de l’architecte lui est soudainement renvoyé en plein visage, alors que Van Buren lui jette une pièce de monnaie au travers d’une blague humiliante.

La quintessence du beau
Son monument s’érige enfin, se matérialise, mais ce qui reste, c’est ce sentiment intangible de non-appartenance, voire même de rejet, renforcé par un rapport de domination d’une Amérique rapace, qui crée à son tour un désespoir, un mal-être et l’appel d’une autre terre promise (Israël, qui devient un enjeu subtilement traité dans cette seconde moitié). The Brutalist se transforme alors en film de vampire, qui se nourrit de l’espoir de ces immigrants et de leur é douloureux, avec en creux l’incapacité d’accepter le vrai génie, qui effraie ceux préférant se complaire dans une uniformisation médiocre et nauséabonde.
Difficile de ne pas tisser un parallèle entre l’architecture de László Tóth, qui nécessite de lourds moyens et de la main-d’œuvre, avec la démarche cinématographique de Brady Corbet. Au-delà de ce que raconte le film, dans toute sa densité et sa beauté, c’est bien cette ambition, presque anachronique dans le Hollywood actuel, qui fait tant de bien. On se demande comment l’ensemble a pu se monter avec seulement 10 petits millions de dollars, si ce n’est avec un savoir-faire indéniable et une soif farouche d’expérimentation.

Le résultat final s’impose par sa cohérence et sa fluidité, tout en parvenant à marquer avec des instants précis, parfois hors du temps (on ne s’est toujours pas remis de cette séquence de fête hypnotisante dans une carrière de marbre italienne). À l’opposé de cette uniformisation et de ces concessions tant craintes par le film, celui-ci mêle ses inspirations prestigieuses pour mieux se les réapproprier.
Il y a du Ayn Rand dans The Brutalist (et surtout de La Source vive, autre œuvre sur un architecte ambitieux dans une Amérique qui ne le permet pas), tout en dépoussiérant le roman des dérives droitardes de sa philosophie objectiviste. Il y a du Sergio Leone (Il était une fois en Amérique), du Coppola (Le Parrain 2), du Cimino (La Porte du paradis) ou encore du Paul Thomas Anderson (There Will Be Blood) dans ce maelström brut et raffiné, tellement en accord avec la psyché de son protagoniste qu’on en dirait l’une des créations. En bref, un très grand film.

J’ai été assez déçu par ce film, principalement à cause des critiques trop positives. Le film est très beau. Il y a beaucoup d’implicite et, bon, j’ai l’impression que j’ai manqué l’occasion de le voir avec une architecte qui m’a donné quelques clés par la suite sans pourtant l’avoir lu. Mais la fin notamment, très didactique et, bon, pour un message discutable, est vraiment problématique. Mais il y a surtout la scène au lit du protagoniste et de sa femme que je n’ai pas comprise, surtout au regard des révélations finales : qu’est-ce que c’est que cette histoire, les personnages savent qu’il y a une caméra, c’est pour ça ? parce que sinon, le film se contredit (ou éventuellement ne dit rien ?). Cette scène est faite exprès pour nous dérouter, mais c’est au coût de la cohérence. Enfin, là, j’aimerais en discuter avec le cinéaste quoi.
Pas d’article pour « Le Mohican » ?
L’un des meilleurs film de ces 50 dernières années.
Un film qui fera date et deviendra mythique.
C’est un grand film, pas de doute là-dessus, mais de mon point ce n’est pas le chef d’œuvre absolu qu’on nous vend.
C’est un grand film pour plein de raisons, dont beaucoup sont détaillées dans l’article, mais pour faire court : quand on réussit à ionner un spectateur pendant 3 heures 30 pleines sans l’ennuyer une seule seconde, c’est déjà gagné. Qui plus est quand on raconte une histoire a priori aussi peu excitante que celle-ci.
Personnellement, le simple fait de voir une salle complètement remplie (plus une seule place de libre !) pour ce genre de film suffit à mon bonheur.
En revanche, certains éléments grippent un peu la machinerie. Je n’en dis pas plus pour ne pas spoiler, mais disons que le symbolisme très prononcé et surtout la surexplication gâchent un peu l’ensemble. L’impression de voir 3h20 de mise en place d’un gigantesque puzzle, et 10 minutes de lecture de la notice du puzzle.
Ceci dit je ne regrette absolument pas d’avoir payé ma place, ça reste un beau et fort moment de cinéma.
Heureusement qu’il y a des analystes qui ont souligné la lourdeur, et le manque d’originalité et de personnalité de ce film…
Il vaut mieux être sur nos gardes.
hate Mais faut poser un rtt pour voir le film