To Beat or not to Beat
Janvier 2021. Le Royaume-Uni entame son troisième confinement. Pour tromper l’ennui et oublier leurs inquiétudes, Sam Crane et Mark Oosterveen, deux acteurs de théâtre qui attendent péniblement la réouverture des lieux culturels, aiment se perdre dans Grand Theft Auto Online. La violence cathartique que permettent leurs virées dans Los Santos s’accorde avec ce qui est attendu des joueurs : le plaisir d’être hors-la-loi, de tirer sur tout ce qui bouge, ou de conduire n’importe comment.
Et puis, le duo tombe sur un théâtre à ciel ouvert, et s’amuse à réciter quelques répliques de Shakespeare. Ce qui n’était qu’une blague germe en idée complètement folle : monter une production d’Hamlet dans le jeu en ligne. Pinny Grylls, la compagne de Sam, les ret pour devenir la documentariste de cette démarche improbable.

A l’instar du brillant Knit’s Island (l’un de nos coups de cœur de 2024, qui plongeait dans un serveur survivaliste de DayZ), Grand Theft Hamlet observe avant tout les pratiques qui émergent des jeux vidéo, parfois aux antipodes des résultats attendus par les développeurs. Mais peut-on vraiment pervertir l’emploi de GTA quand on peut déjà tout y faire ? La première partie du film (la meilleure) réjouit par sa manière d’embrasser le chaos de la situation. Sam et Mark tâtonnent, se lancent dans des castings sauvages et des auditions, souvent interrompues par des fusillades ou l’arrivée de la police.
Les deux acteurs rencontrent d’abord la barrière du jeu, celle qui attend l’affrontement, avant qu’une magie absurde n’opère. Les rencontres se font, les gens se présentent et se prêtent au jeu de la performance derrière leur avatar (scène géniale où l’utilisateur ParTeb récite dans son costume d’alien vert un extrait du Coran). Derrière ce détournement de la matière de pixels malléable de GTA 5 se dessine quelque chose de profond sur une humanité en quête de , et qui compense un “vrai” monde qui le permet de moins en moins.

Théâtre de l’absurde
Pour autant, il faut ettre que é la surprise inaugurale de son concept, Grand Theft Hamlet n’a pas la poésie vertigineuse de Knit’s Island, qui se laissait déborder par son sujet et ses images. A l’inverse, Crane, Oosterveen et Grylls assument une narration beaucoup plus écrite, abandonnant au age la nature véritable du film en tant que making-of hasardeux. Les comédiens aiment mettre en scène leurs désillusions et le poids de leur obsession artistique, quitte à marteler une artificialité qui essaie paradoxalement de se rattacher à un réel qu’on ne verra jamais.
On sent bien, malgré l’évidence avant-gardiste de leur approche, qu’il faut justifier l’emploi de Grand Theft Auto. Leur amour palpable du jeu n’évite pas cette légère condescendance : il faut anoblir le monde virtuel au travers de Shakespeare en montrant bien que la violence inhérente à Hamlet se retrouve dans celle, tout aussi systémique, de Los Santos. Un comble, quand on sait que Rockstar Games y a développé l’une des narrations les plus virtuoses du dixième art, pour évoquer dans toute sa complexité une Amérique sclérosée par le libéralisme.

Et en même temps, une pièce se joue sur la création même de la pièce et sur cet acharnement. C’est dans ces moments de vertige métatextuel que Grand Theft Hamlet parvient à toucher, et à nous rappeler qu’il y a des gens derrière ces avatars improbables.
On s’amuse face à l’ambition de leur relecture de la tragédie de Shakespeare (un dirigeable pour er d’un acte à un autre, un suicide sublimé par le fameux son de GTA lors d’un game over) et de cette naïveté du “show must go on”. Comme ils le disent, le monde est un théâtre, et dans ces terres numériques à défricher, plein de belles choses nous attendent encore.
Grand Theft Hamlet est disponible sur Mubi depuis le 21 février 2025.

J’ai un sérieux doute sur le fait qu’il s’agisse du moteur de GTAV…
il est capable de faire beaucoup mieux sur PC. ou alors ça vient du Online.