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Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau : critique qui fait chat-virer nos cœurs

Par Antoine Desrues
30 octobre 2024
MAJ : 17 novembre 2024

Au même titre que le documentaire, l’animation est souvent peu présente pendant le Festival de Cannes, et s’y démarque encore plus. En 2024, ça a été le cas pour l’un de nos coups de cœur de la sélection Un certain regard : Gints Zilbalodis est surtout une splendeur visuelle, qui pioche autant dans le cinéma d’Alfonso Cuaron que dans le jeu vidéo. Une merveille immanquable, en salles le 30 octobre.

© Canva UFO Distribution

Minouspace

On avait repéré le réalisateur letton Gints Zilbalodis avec Ailleurs, film sur la profonde solitude d’un humain abandonné sur une île. Le cinéaste avait réalisé cet exploit seul (ou presque), au point de connecter son expérience avec celle de son personnage.

Avec Flow, l’artiste a désormais les moyens de ses ambitions, et avec lui, une équipe. Il est le premier à faire le lien entre son parcours et celui de ce petit chat contraint de faire confiance à d’autres animaux sur un bateau de fortune. Cela explique peut-être l’évidence instinctive et viscérale de ce récit sans dialogues. D’un côté, le long-métrage est d’une limpidité thématique et structurelle impressionnante d’universalité. De l’autre, sa mise en scène ne cesse de façonner un voile de mystère qui fait toute sa singularité.

Stray, le film

Alors qu’on démarre dans une maison remplie de statues de chats, Flow se laisse aller à l’ambiguïté de son hors-champ. Dans ce monde en apparence post-apocalyptique, les humains semblent avoir disparu. Derrière l’étonnante tranquillité qui se dégage de cette absence, ce sont nos amis les bêtes qui payent les pots cassés. La catastrophe écologique prend ici la forme d’un déluge (impressionnante imagerie, portée par un rendu de l’eau très réussi), qui engloutit le é autant qu’il impose une mutation de notre planète.

Embarqué malgré lui dans un périple aux accents mythologiques campbelliens, notre ami félin est bien contraint, comme ses compagnons (un labrador, un lémurien, un héron et un capybara), de s’adapter. L’environnement a l’ascendant, et c’est d’ailleurs lui qui conduit la direction de la narration. On sent le film nourri par le jeu vidéo, avec sa caméra qui tournoie autour des corps et pénètre l’espace dans des travellings saisissants. Avec un sens de l’échelle aussi poétique que spectaculaire, Zilbalodis nous parle d’une nature qui panse ses plaies, se reboote avec toute la violence que cela suppose.

Ohé ohé, capitaine abandonné

Je danse le miaou

C’est aussi pour cette raison que Flow n’hésite pas à convoquer une certaine noirceur, une sensation d’abandon cosmique où cette troupe d’animaux n’a plus qu’elle-même pour se protéger. Si les plans-séquence spectaculaires du film renforcent la menace pesante des raz-de-marée sur notre petite créature à poils (on pense à la tension qu’Alfonso Cuaron a su instiguer dans Les Fils de l’homme et Gravity), la sensation de sublime qu’il capte, à la manière d’une toile de Caspar Friedrich, impressionne autant qu’elle effraie.

The Last Guardians

Sans jamais donner de paroles ou sans trop anthropomorphiser les animaux, le long-métrage transpose par leur regard une forme d’éco-anxiété très contemporaine, un rapport écrasant à l’Anthropocène malgré la disparition des êtres humains de l’équation. Quelle Terre allons-nous laisser derrière nous ? Quelle sera notre responsabilité dans l’effondrement du monde ? Et quel impact aurons-nous sur les espèces survivantes ?

C’est dans cette terreur existentielle, constamment suggérée par cette nature surpuissante et les ruines de nos civilisations (superbe age dans ce qui semble être une ville antique) que Flow subjugue le plus. Contrairement aux fables de La Fontaine, cette fable-ci, tournée vers le vivre-ensemble, la solidarité et la bienveillance, n’a pas besoin de caractéristiques humaines pour exister. C’est même l’inverse. C’est peut-être mieux sans nous.

Rédacteurs :
Résumé

Magnifique et immersif, Flow convoque avec un mélange d’humour et de gravité la survie des espèces qui resteront après notre départ. Une fable inspirée sur le vivre-ensemble des animaux, et sur notre responsabilité dans la catastrophe écologique en cours.

Autres avis
  • Alexandre Janowiak

    Derrière l'épopée post-apocalyptique immersive et sensorielle à hauteur de chat, Flow est une magnifique ode à la nature tout en rappelant sa puissance dévastatrice.

  • Geoffrey Crété

    Pas un mot et pas un Homme pour tout raconter de la vie. C'est d'une simplicité, d'une beauté et d'une puissance extraordinaires, et c'est un très grand film.

Tout savoir sur Flow, le chat qui n’avait plus peur de l’eau
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Flo1
Flo1
il y a 6 mois

…une expérience cinématographique incroyable, qui réussit là où « Le Robot Sauvage » a échoué (malgré le fait que ce dernier soit plus explicite avec la Mort).

patrick-et-valerie-faivre
patrick-et-valerie-faivre
il y a 6 mois

Film fantastique, incontournable autant qu’improblable !
Bonne critique avec deux remarques cependant :

  • il s’agit d’un serpentaire et non d’un héron
  • la ville engloutie (image dans l’article) semble sortie tout droit d’un plan du CHÂTEAU DANS LE CIEL quand les héros découvrent Laputa.
Flo1
Flo1
il y a 6 mois

Deuxième long-métrage développé à partir d’un autre court (« Aqua »), exactement dans la même lignée que le précédent « Ailleurs », et réalisé cette fois en équipe. Parce qu’il n’y a pas le choix si on veut mener à bien une idée qui a plus d’ampleur, plus d’ambition, plus… d’eau (pas facile à animer).
Un Survival sur un groupe d’animaux se réunissant peu à peu, et dérivant sur des embarcations dans un territoire inconnu et abandonné des humains. Le développement des situations se faisant ouvertement plus complexe, ce que Gints Zilbalodis réussit incroyablement. 
Évidemment le style de prédilection du réalisateur garde toujours ses limites, la technique gagnant en mouvements plus fluides pour les personnages, mais en leur laissant encore des textures simplifiées. Pas de photoréalisme, les animaux ayant des mouvements et des sons le plus naturel possible, tout en restant des êtres de fictions (dans une situation elle-même très improbable).
C’est toujours un film qui soustrait des détails, dont la parole et les coupes, pour revenir à l’essence du Cinéma. Et utilise des codes de jeux vidéos via l’esthétique pastel, le travail sur la lumière et les décors, la caméra voltigeuse en plans-séquences (22 séquences et 307 plans précisément), jouant sur l’appréhension de l’environnement et le hors-champ… Un parti-pris artistique qui finit à nouveau par ne pas faire regretter qu’on n’ait pas la manette en main.

Certes il peut y avoir le souvenir du jeu Stray, mais ça s’arrête là :
L’environnement inconnu dans lequel on se trouve, garni d’architectures étranges notamment liées à la divinité (statues de chat ou d’humains, monolithes montants vers le ciel), sert juste à habiller le film d’une atmosphère envoûtante et mystérieuse. Tout au plus on peut extrapoler, à partir de ce qu’on voit, que les humains ont fait une Ascension grâce à ces monolithes qui inversent la gravité, et qui provoquent des crues énormes comme le montre ce bateau dans un arbre au tout début (mais le réalisateur nous laisse toutefois libre de notre interprétation).
À ce moment, ce que nous montre le film a encore quelque chose à voir avec le genre de jeu dans lequel on ne peut pas prendre son temps, car la montée des eaux atteint un niveau critique et il faut agir très vite.
Donc accepter de ne pas rester planté dans un même endroit juste parce que c’est confortable, que ça pourvoit à nos besoins et qu’on y a un attachement profond – la maison du chat (et de ses maîtres), où il se sent comme un seigneur tout puissant.
Ainsi survivre c’est toujours avancer, sans s’arrêter, en faisant des alliances improbables et risquées, jusqu’à ce qu’on trouve l’endroit qui vous convient vraiment… Mais pas en ligne droite cette fois-ci. 
Car ce n’est plus seulement un Survival mais aussi un récit picaresque, où les évolutions cruciales des personnages vont aussi être basées sur des évènements inattendus (les effets dévastateurs d’une décrue par exemple), ou des décisions arbitraires (aller explorer cette étrange construction). Un peu comme George Miller est é d’un « Mad Max : Fury Road » rectiligne, à un « …Furiosa » en zig-zag.
Chacun des animaux de cette Arche de Noé improvisée a un arc narratif, qui va du plus simple au plus complexe. 

Ainsi il est facile de comprendre que le chien (archétype du « benêt ») doit apprendre à suivre autre chose que sa meute, parce que être de la même espèce n’est pas une fin en soi.
Évident aussi que le lémurien (archétype du cupide) doit cesser d’être obsédé par tout ce qui brille.
Bien entendu le chat (archétype du solitaire) doit déer son instinct félin (d’où le sous-titre francais) ainsi que son individualisme, pour servir le groupe autant que lui-même – très beau spécimen félin d’ailleurs, bien avantagé par la culture Lolcat.
Mais plus intéressant encore est l’oiseau rapace (archétype du tourmenté), qui débute comme quelqu’un de déjà bienveillant envers autrui, et le paye en subissant un rejet violent dans son propos clan. Son entrée dans le groupe se fait par dépit et avec une amertume qui jamais ne le quittera jusqu’à la fin, le poussant entre-temps à littéralement prendre la barre pour essayer de garder le contrôle, en vain… 
La dynamique du groupe étant bientôt menacée par là où elle s’est construite : sauver des vies et inclure des gens divers ne marche pas aussi bien quand il s’agit de réunir des clans qui ont des expériences de vies différentes.
Quant au capybara, lui il n’a aucun arc narratif, rien à défendre, il est juste l’archétype du bon copain serviable. On pourrait croire que c’est par lui que le récit va introduire la notion de sacrifice… et à la fin on comprend que ce personnage plutôt inutile va surtout servir d’enjeu ultime, pour définitivement souder le groupe.

Au bout d’un moment on n’a plus l’impression d’être devant une animatique de jeu vidéo, très contemplative, inspirée des Animés japonais les plus écolo, avec de temps en temps une belle musique immersive… 
Mais surtout dans de l’aventure et du récit initiatique, qui contient des instants mirobolants – les apparitions d’un poisson chat géant (ce qui se rapproche le plus d’une divinité), la traversée d’une ville simili antique, un adieu où l’on tutoie les étoiles…
Et après une ultime péripétie qui permet d’avoir un final avec de l’action, et d’utiliser les thématiques de la chute et du reflet (récurrentes dans l’histoire), ce film va complètement au bout de ce qu’il veut raconter. 
C’est à dire : Qu’est ce que c’est qu’être vivant… si ce n’est d’avoir à nos cotés quelqu’un de cher à notre cœur, qui puisse témoigner qu’on existe ?

Un film magnifique.

Hasgarn
Hasgarn
Abonné
il y a 7 mois

Un film frais et mystique sur la nature, sa puissance et son échelle. Une mise en scène brillante qui explose les standards des films d’animation basique. Chez Pixar et Disney, ils ont des leçons à prendre de ce tour de force.
techniquement, le film est splendide tout en étant moins abouti que peut l’être un Pixar. Le réalisateur a l’intelligence de faire d’une limite technique un style qui le démarque de tout concurrence. Tout comme Nintendo se sait limité par le hardware de sa Switch, il capitalise sur une esthétique irréprochable que Miyamoto ne renierait pas considérant les Zelda Breath of the Wild et Tears of the Kingdom.

La technique sans langage ni sens artistique ne fait pas tout, c’est Flow qui le dit.

A ce jour mon film de l’année.

Dario De Palma
Dario De Palma
il y a 7 mois

C’était très bien, très beau, un film qui fait du bien aux yeux, au coeur, à l’âme! Une bouffée d »‘air pur après les plus ou moins douloureuses déceptions ciné de ces dernières semaines (‘ »Megalopolis », « Anora », le dernier Clint..) Allez le voir et le soutenir en salle!

Guts
Guts
il y a 7 mois

Je viens de le voir cet après-midi : juste magnifique. Techniquement éblouissant. On aimerait voir encore plus de ce monde dévasté. On peut lui reprocher un manque de péripéties et une fin, qui nous laisse sur notre faim mais arriver à transmettre des émotions sans dialogues et déjà une prouesse ( j’ai pensé à la  » Tortue rouge » qui était aussi très émouvant). J’ai beaucoup aimé et j’espère qu’il sortira en 4k , un futur achat.

Shinobigout
Shinobigout
Abonné
il y a 7 mois

Ce film m’a mis une claque que je n’avais pas vu venir. Probablement dans mon top de l’année.

pakkun
pakkun
il y a 7 mois

A la vue de la bande annonce j’étais vraiment chaud pour aller le voir et emmener mon fils (5 ans) avec moi. Après avoir lu la critique j’ai toujours très envie de le voir mais je vais peut-être laisser mon fils à la maison.

gtb
gtb
il y a 7 mois

Je découvre, et ça à l’air d’être une dinguerie. Il y a des plans tarés dans la bande-annonce. Bon, pas la moindre chance que ça e près de chez moi, donc ça va devoir attendre la VOD.

Ghob_
Ghob_
il y a 7 mois

Pas mal de sorties de qualité en matière de film d’animation ces temps-ci, je vais regarder s’il e dans le cinoche d’art et d’essai de mon petit bled, ça changera un peu des grosses machines hollywoodiennes !