Le village se réveille…
Les sorcières existent-elles ? Qui sont-elles ? Comment deviennent-elles sorcières ? Si ces questions trouvent des réponses dans le cinéma de genre de ces dernières années, qui s’empare d’une figure fantastique devenue féministe, comme The Witch, la plupart des récits demeurent attachés à la sorcière d’antan. Pourtant, comme l’actualité et les nauséabonds classements Forbes du moment le montrent chaque jour, beaucoup de femmes sont encore aujourd’hui clouées au pilori, victimes d’exécution médiatique et professionnelle (ou réelle), selon les mêmes logiques misogynes.
C’est toute l’histoire que nous raconte Roqya, en ajoutant dans l’équation l’arme des réseaux sociaux. Les villageois brandissant des fourches sont ici remplacés par une population urbaine brandissant des téléphones. Un parallèle qui méritait d’être fait, et qui donne lieu à des séquences glaçant le sang, comme celle où Nour est prise pour cible par des personnes qui enlèvent son fils et la ent à tabac, diffusant le tout en direct sur Tiktok, tandis que les ants évitent soigneusement de lui venir en aide. Pour montrer à quel point les a priori racistes et sexistes sont à l’origine de tels lynchages, le coup de génie de Roqya est de laisser parler les images d’elles-mêmes, notamment lors de la caractérisation du personnage de Nour.
Première séquence : l’héroïne est arrêtée dans un aéroport. Contrôlée par la douane, elle est sommée d’ouvrir son manteau. Sous celui-ci, on découvre les dizaines d’animaux exotiques habilement dissimulés, des lézards juchés sur ses épaules aux poissons vivotant dans des petits sacs d’eau accrochés à sa ceinture. Ainsi couverte de bestioles étranges (dont le film ne se préoccupe malheureusement jamais du sort, à une époque où le trafic d’animaux demeure un gros problème éthique et politique), Nour a l’air… d’une sorcière, surtout au travers du regard pesant des agents de sécurité dans la pièce.
La caméra la rend majestueuse dans toute l’étrangeté de cette image, et le fait qu’elle soit femme et non-blanche lui confère, à force de préjugés et d’imagerie clichée, une dimension fantastique ou magique. Quelques minutes après, on la voit récupérer dans son estomac, par un fil tiré de sa bouche, des pochons contenant des petites grenouilles. Opération pour laquelle elle pose devant elle une marmite, comme une sorcière ferait avec son chaudron. Là encore, les gros plans sur ces gestes improbables rappellent la sorcellerie beaucoup plus que si Nour avait été un homme. Et tout au long du film, l’héroïne se retrouvera taxée de sorcière pour actes certes répréhensibles, mais qui seront tout autant commis par des hommes qui ne subiront jamais le même opprobre.
Même Tom Cruise ne court pas aussi bien sur les toits
question de point de vue
Tout au long du film, cette manière de souligner la différence de perception d’une personne en fonction de son genre et de sa couleur sera le maître mot sans non plus en faire un motif de premier plan trop lourd, didactique. Malheureusement, et malgré ses qualités évidentes, le film peine à tenir sa route. Désireux de dire beaucoup de choses, et d’alimenter ses discours de subtilités et de contre-exemples (ce qui est plutôt louable en soi), le réalisateur se perd au carrefour de tous les chemins qu’il voudrait emprunter.
Quelle est sa priorité, quelle est la thèse finale du film ? Et, surtout, quel est son point de vue ? Il est parfois compliqué de comprendre ce que Saïd Belktibia souhaite que le public retienne de telle ou telle séquence. La faute à un regard parfois documentaire qui, s’il a le mérite de laisser la nature humaine parler d’elle-même, manque de donner un sens à ses péripéties.
Il en va de même pour le personnage de Nour, parfois courageux et irable, et parfois cruel et antipathique. Il est évidemment intéressant et plaisant d’avoir affaire à une héroïne nuancée et faillible, caractéristiques qui ne font qu’embellir ses moments de bravoure. Néanmoins, le manque de cohérence de ses actions laisse parfois perplexe : entre l’affection qu’elle semble parfois porter à ses animaux de contrebande et la manière dont elle les traite (on trouve chez elle les mêmes petites boîtes en plastique empilées que dans Vermines) ou les laisse tristement mourir, son empathie évidente envers les personnes dans le besoin et sa facilité à les arnaquer… quand elle ne fait pas carrément plus.
Si on suit de près les pires choses survenant dans son quotidien de femme traquée qui ferait tout pour réussir à sauver son gosse, on regrette parfois de n’être pas davantage dans la tête de Nour pour mieux comprendre son parcours en forme de montagnes russes.
Le mec, il s’appelle « On » et il a un phare
gold shifteh
Mais, si le film par ailleurs assez long a une fâcheuse tendance à perdre son spectateur, il se repose avec raison sur son élément le plus solide : la toujours charismatique et émouvante Golshifteh Farahani. L’actrice, très engagée pour la cause des femmes en Iran, a sans doute vu en Nour un rôle plein de sens, et elle habite avec beaucoup de force ce personnage poussé à devenir sorcière à force d’être chassé comme telle.
À ses côtés, l’humoriste Jérémy Ferrari fait ses débuts dans un rôle dramatique, celui de l’ex violent de Nour qui alimente la traque contre elle pour récupérer leur fils. Crédible en homme qui s’imagine mâle alpha, il parvient à faire se dresser quelques poils de rage. En somme, Roqya est un film très inégal, sans même citer sa photographie à peu près inexistante, mais dont le postulat et l’interprétation en font un objet intrigant et intéressant. Nouveau venu dans la famille du “cinéma de genre français”, il en rebat quelques cartes, et c’est finalement plutôt bienvenu.
je suis globalement du même avis, beaucoup de bon points mais un ensemble inégal qui laisse un goût amer. Je suis curieux de voir son prochain film par contre car c’est un début prometteur. L’introduction montrant l’évolution médiatique de la figure de la sorcière est vraiment cool, ça illustre bien une hystérisation progressive de la société.
J’ai été le voir dimanche, et j’ai trouvé ça plutôt pas mal pour un premier film. Le film souffre de certains défauts, certes, mais c’est plutôt prometteur pour son metteur en scène. Le film illustre assez bien pas mal de soucis de notre société, entre ces croyances absurdes, l’enflammement sur les réseaux sociaux etc… Par contre, je ne verrai plus jamais une pompe à venin (je pense que c’était ça) de la même manière. Hard ce age !!!
Je me retrouve totalement dans cette critique.
Ponctué de (nombreux) soucis d’écriture (le comportement de Nour, le point de vue du film sur ses différents sujets), Roqya compense par un casting plutôt bon, une grande richesse thématique et une envie constante de cinéma.
Un premier film certes imparfait mais prometteur pour la suite.
Ses qualités font plutôt pencher la balance du bon côté malgré ses défauts.
@Judith Beauvallet
Joli, les légendes des photos !
(la dernière m’a tué ! ^^)